LA QUINZAINE
A Moush et à Diarbékir
A u moment même'où Anatole France
écrivait son généreux appel à l ' huma –
nité, les plus tragiques nouvelles nous
sont arrivées de sources diverses.
C'est d'abord une lettre de Tiflis, en
date du 26 ma i , qui donne sur l a situa–
tion dans la vallée de Moush de nouveaux
et graves détails ; la voici textuelle–
ment :
Tous les villages de la plaine de
Moush sont remplis de soldais et de
brigands circassiens
émigrés.
Dans
chaque village se sont installées quinze
ou vingt familles de ces émigrés.
Les communications entre les villages
sont entièrement
interrompues,
tous
étant occupés et cernés par les troupes.
Le Consul russe a quitté Moush,
laissant la population livrée à l'arbi–
traire gouvernemental:
brigandages,
bastonnades, emprisonnements,
assas–
sinats sont des faits ordinaires
et
quotidiens.
On ramasse les impôts arriérés de
seize et dix sept ans avec toutes sortes
de violences ; on perçoit l'impôt sur les
absents et les morts, d'après des listes
anciennes.
Le vali de Bitlis est attendu ici avec
de nouveaux renforts de troupe appar–
tenant à l'armée régulière, selon toute
probabilité l'attaque des villages aura
lieu dès l'arrivée
de ces
nouvelles
troupes et le vali fera
disparaître
complètement ce qui reste de la popula–
tion arménienne.
Il faut se souvenir que l'an dernier à
pareille époque plusieurs villages de la
plaine de Mou s h furent attaqués, pillés
et incendiés et l a population massacrée
pa r l e s Kurdes et les troupes régulières.
De Menas s im, on mande à
Die
Information
de Vienne, le 30 mai, que
Moustapha pacha de Djezireh, continue
ses- exploits. Il a attaqué le village de
Hétrak, près de Diarbékir et tué bon
nombre des habitants. L ' a r a c lmo r t de
Diarbékir a envoyé au Ko na k du
gouverneur Kha l i d - b e y les vêtements
ensanglantés des morts, en plein jour,
afin que toute la ville vît cet effroyable
spectacle. Le s Consuls ont daigné
s'occuper de l'affaire et Kha l i d - b e y a
été obligé de faire passer en conseil de
guerre, Moustapha pacha, chef hamidié.
Ma l l u i en a pris, Zekh i pacha, c om–
mandant du 4
e
corps d'armée est inter–
venu aussitôt selon sa coutume « pour
défendre l'honneur des soldats de Sa
Majesté». C'est dans ces conditions
que Kha l i d - bey a été destitué par iradé
impérial et remplacé par Faïk pacha,
de qui nous avons retracé, dans le
dernier numéro, la carrière de brigand
et d'assassin.
Hami d ne pouvait l'aire moins pour
son frère de lait Z e kkh i pacha que de
lui envoyer un complice tout animé à
la besogne par plusieurs années de
repos : le Sultan est donc responsable,
plus que jamais, des crimes commis
par un égorgeur qui est presque de sa
famille.
Enfin, par une voie différente, par une
lettre de Rassora, en date du 20 avril,
les mêmes nouvelles sont encore c on –
firmées ; i l y est dit :
l'anarchie est si
complète dans les vilagets
arméniens
que ce pags ne peut plus rien produire
nipayer aucun impôt et que les habitants
aspirent à la mort et à la tombe, pour
g trouver du repos.
L a Fr an c e e l l ' Al l emagne viennent
de faire un effort diplomatique très
énergique pour sauver les finances tur–
ques: i l semble qu'elles y aient réussi;
serait-il plus malaisé et moins honora–
ble de sauver des mi l l i e r s de vies
humaines ?
P i e r r e Q U I L L A R D .
# —
Lettre d'Aghtamar
Après le rapport Papghen, après la corres–
pondance de l'araclmort du diocèse de R.,
nous publions un nouveau document du
même ordre qui nous est communiqué par
la rédaction de
est certain que la
lettre du vartabed Arsène a été portée à la
connaissance des ambassadeurs européens
et par ceux-ci à la connaissance de leurs
gouvernements. Une lettre de Van, qu'on
lira plus bas, confirme et complète celle du
vartaded Arsène.
A Sa Béatitude
le
Patriarche
des Arméniens
de Turquie
à
Consantinople.
Aijhtamar, i" février
igo2
11
y a cinq jours, par un télégramme
(
n° 64), nous avions déclaré à votre Béati–
tude que la population des 25 villages ar–
méniens du district de Spargherd et les
prêtres des 2 couvents s'étaient adressés
au Catholicossaran (résidence du catholi–
cos).
J'ai jugé nécessaire de vous donner, par
le présente, des renseignements particu–
liers au sujet des atrocités commises. Le
malheureux peuple eslobligépar ce temps
glacial d'affronter toutes les difficultés du
voyage sur les monlagnes, d'abandonner
sa famille et ses enfants entre les griffes
des bêtes féroces, et de partir ailleurs, pour
mendier, pour souffrir à la porte de ses
compatriotes aussi malheurenx que l u i ,
pour subir toutes les peines, pour pleurer
sur ses souflrances indescriptibles.
Père révérendissime, à la vue de ces
spectacles écœurants, nous-mêmes nous
sommes embarrassés et nous ne savons
comment communiquer à Voire Béatitude
la triste situation de ce malheureux peuple.
Nous Vous citerons seulement quelques
exemples qui vous donneront une idée sur
les atrocités générales et la vie quotidienne,
vie à laquelle la mort est préférable.
A .
Le mudir du susdit district est un
Kurde ; c'est ainsi que la force gouverne–
mentale se trouve réunie à l'inlluence
kurde, et que cette force doublée devient
la mère de tous les maux inouïs et des
vexations ; par suite ce district, pareil au
paradis, esl de jour en jour déserté par ses
habitants arméniens.
B.
Outre ce mudir kurde nommé Kérim
bey, i l y a bien d'autres beys, comme Cha.
raff Khan bey et Sadoullah Khan bey, etc.
qui rognent, chacun en maître absolu et
privilégié, sur différents villages.
Pour percevoir les impôts chaque bey
tombe avec ses hommes sur les villages
qui sont sous son autorité, comme chef de
police et mudir; i l perçoit les impôts par
des tortures atroces, en enlevant au peuple
les choses nécesssires à la vie, et après
avoir empoché directement la plus grande
partie des sommes perçues, verse le res–
tant soi-disant dans la caisse du mudir qui
n'existe que de nous, sans passer aucun
compte, de sorte que les habitants du dis–
trict ne peuvent pas savoir quelle est la
somme légale des impôts annuels, ce qu'ils
ont payé el ce qu'ils doivent.
C.
Chaque bey fait travailler la popula–
tion du village qui lui esl soumis en
échange de pain sec, en toule saison;
ainsi, aucun habitant ne trouve le temps
de s'occuper de ses propres affaires, étant
toujours occupé par les corvées sans fin du
bey cruel.
/).
Les beys distribuent, leurs nombreux
moulons parmi les Arméniens qui les doi–
vent nourrir et soigner toul l'hiver.
E.
Les beys sont libres de prendre ce
qu'ils veulent et tant qu'ils en veulent
dans les villages arméniens; la vie et les
biens de l'Arménien leur appartiennent, le
produit du travail, sa femme et sa fille;
s'ils l u i laissent la vie, une petite part du
produit de sa sueur et une femme qui soit
Fonds A.R.A.M