nie, partout régna une grande horreur et
l'Angleterre, comme la Russie, adressa au
gouvernement turc un mémorandum où les
deux puissances exigeaient qu'il fut mis un
terme aux effroyables massacres exécutés là-
bas. Le gouvernement turc a bien reçu le
mémorandum, mais i l n'a jamais été ques–
tion qu'il le mit à exécution. Depuis des
années et dans des proportions croissantes
en ces derniers temps, nous entendons parler
à nouveau de terribles dévastations et mas–
sacres en Arménie.
La cause ne gît pas seulement dans la dif–
férence de race et de religion entre les Turcs
et les Arméniens, mais aussi dans le domaine
économique et intellectuel.
La population arménienne a des tendances
européennes; c'est une population éveillée,
qui fait activement effort vers le progrès. En
Arménie règne maintenant un état de com–
plète illégalité et continuellement des arres–
tations arbitraires s'y produisent. Des loca–
lités sont entièrement incendiées ; les femmes
et les enfants ne sont pas épargnés. Et ces
nouvelles ne sont pas indignes de créance ;
elles ont été confirmées par les déclarations
du ministre des affaires étrangères français
Delcassé, à la date du 5 novembre 1901. En
Turquie, i l n'y a pas de moyen légal d'obte–
nir une amélioration ; les évêques et les
prêtres ne peuvent oser porter des doléances
au gouvernement. Tout Arménien qui se
plaint est puni pour haute trahison ! Même
le patriarchat arménien de Constantinople
est entièrement impuissant.
Je demande donc à M. le Chancelier .de
l'Empire s'il est informé de ces faits et si le
gouvernement allemand, comme les autres
puissances signataires du traité de Berlin,
ne va pas prendre position à ce sujet. L'Alle–
magne en particulier en a le devoir : car
l'empereur allemand a parlé i l n'y a pas long–
temps des relations particulièrement ami–
cales que nous avons avec la Turcjuie. 11 a
déclaré qu'Allemands et Turcs, bien que
d'origine et de croyance différentes, nous
pouvions cependant être bons amis. Si telles
sont nos relations avec la Turquie, c'est
notre devoir particulier de veiller à ce que
les mesures de protection prises dans l'inté–
rêt des Arméniens soient mises à exécution.
L e Comte de Bùlow a répondu en
quelques phrases dédaigneuses à cette
partie du discours du citoyen G r a d -
nauer:
Si on l'écoulait, i l faudrait mettre son
doigt dans toutes les fentes et partir en
guerre contre tous les moulins à vent qui ne
nous plaisent point
(
Très bien à droite, rires
à gauche).
Nous aurions dû ainsi nous mêler
non-seulement de la guerre sud-africaine,
mais aussi des troubles arméniens et de la
guerre des Philippines, mais nous ne voulons
pas faire les Jeannot dans toutes les rues
(
Assentiment à droite, rires à gauche.)
A i n s i le chancelier de l ' Emp i r e alle–
mand a repris à son compte la malheu–
reuse parole échappée à M . Delcassé,
sur le donquichottisme et que c e l u i -
ci avait regrettée aussitôt que dite ;
i l l'a reprise et aggravée par des
plaisanteries personnelles fort i nop –
portunes dans une affaire d'humanité.
Mais i l n'en est pas moins important
qu'un parti qu i compte en Allemagne
près de l a moitié des électeurs ait r om–
pu le silence sur les affaires arménien–
nes. Là aussi, désormais, l'opinion p u –
blique est éveillée et s i impertinente
que soit l a cruelle désinvolture des
gouvernants, i l leur faudra bien, que l –
que j our , compter avec l'indignation
populaire, comme ils ont été obligés de
le faire pour les Républiques sud-afri–
caines.
A u Sénat français, M . le comte
d'Aunay a prononcé un discours très
ferme, bien que très mesuré dans hss
termes. I l a rappelé que les membres
du Parlement français ne pouvaient, le
plus souvent, discuter les affaires exté–
rieures que dans de mauvaises c ond i –
tions, faute d'avoir les renseignements
diplomatiques indispensables et qu'ils
en étaient réduits, en général, à cher–
cher des informations dans les livres
bleus anglais. I l a montré qu'en 1896,
les discussions sur les massacres armé–
niens avaient été tronquées, parce que le
Gouvernement d'alors avait fait le silen–
ce autour des événements, et que la
France avait porté la peine de la faute
commise alors par une décroissance
notable de son influence en Orient. I l
a indiqué enfin que l'évacuation rapide
de Mitylène n'avait pas été sans causer
quelque déception tout en prenant acte
des déclarations rassurantes faites par
M . Delcassé, sur la nécessité d'une
réforme en Turquie ; et en reconnaissant
qu'une certaine rivalité régnait en
Orient, entre l a France et la Russie, i l
a exprimé l'opinion que « l'alliance
russe vaut bien des sacrifices à c ond i –
tion qu'ils soient réciproques ».
On chercherait vainement dans les
déclarations du Ministre des affaires
Etrangères une réponse catégorique
auxdemandes courtoises du comte d ' Au –
nay : le mot Arménie n'est môme pas
prononcé par l u i et quand i l dit que les
revendications de l a France à l'égard
de l a Turquie ont été acceptées « dans
le domaine moral comme dans le do –
maine économique », i l est bien enten–
du que ces revendications morales ne
touchaient qu'à l'établissement des éco–
les et des églises latines et à l a recon–
naissance du patriarche chaldéen. L e
comte Go l u c hows ky , au Reichsrath
autrichien, serait aussi bien venu à
dire qu'il a souvegardé le domaine
mo ra l de l'empire de Hadsbour g , en
obtenant, à l a môme époque, des avan–
tages importants pour les Franciscains
d'Albanie et le comte Lams do r r f se
peut féliciter, au môme degré, du suc –
cès remporté par M . Hi t r owo , repré–
sentant de l a Société russe de Palestine,
qui vient de recevoir, de l a Sublime
Po r t e , l'acte de reconnaissance légale
pour 83 écoles.
L e
Livre Jaune
du 21 mars sur le
conflit franco-turc n'est pas plus e xp l i –
cite sur les plus récents massacres
d'Arménie qui ont été portés cependant
à la connaissance du gouvernement
français : i l les traite par prétention
absolue.
Sans doute, M . Delcassé, malgré les
justes sollicitations de M . le comte
d ' Aunay , réserve pour la Chambre, qu i
sera élue prochainement, le
Livre Jaune
nécessaire sur les événements tragiques
de l'an passé, et sur ceux qui s'accom–
plissent ou se préparent en ce moment.
Car i l ne faut pas se leurrer d ' opt i –
misme. Des nouvelles de Mou s c h , à
la date du 23 février 1902, dépeignent la
situation locale sous les couleurs les
plus noires, et ce ne sont pas là des
informations privées, mais des i n f o rma –
tions d'un caractère quasi-officiel.
A Spargherd, district de Kh i z a n ,
vilayet de B i t l i s , le chef Ku r d e Khérim
Kh a n avec ses compagnons Chavat
Kh a n et Sadoullah Kh a n exerce les
vexations habituelles, sous couleur de
percevoir l'impôt. I l a réduit l a popu –
lation arménienne en complet servage,
traitant comme sa propriété absolue
les personnes, femmes et filles sur–
tout, et les biens arméniens, revend les
unes et les autres ou les achète à son
gré. De son fait, les villages d'Hazant,
Hou r ouh , Godentz, Djagevan, Serkar,
Pazenik, Go rpan , Dalars, Ha r gmi n
sont entièrement ruinés, et dans v i ng t -
Fonds A.R.A.M