Mo s c ou , rapporte que le nomb r e des
réfugiés arméniens augmente chaque
j o u r . Ils ar r i vent de Tu r q u i e , soit u n
par u n , soit avec leurs familles, pres–
que tous dans une affreuse détresse,
sans asile, sans vêtements, sans p a i n ,
ne v i vant que par l a charité pub l i que .
Beauc oup d'entre eux portent des
traces des cruautés kur de s . L e c o r –
respondant de l a
Novoié Obozrénié
a
vu un jeune garçon de quatorze ans
qui avait eu l a langue arrachée et les
tendons des pieds coupés ; i l a v u des
v i e i l l a rds au dos saignant de plaies
ouvertes. Et tous ces réfugiés répètent
le lamentable refrain qu i revient dans
toutes les lettres envoyées de l a terre
des souffrances : « L e pillage et le
meurtre sont des faits n o rmau x et
habituels. L e gouvernement ne p r e n d
aucune mesure pour arrêter ces v i o –
lences, au c ont ra i r e , i l les favorise. »
Ma i s sans doute les récits des réfu–
giés de So t ch i ne sauraient être pr i s en
considération par les personnes qu i
veulent se tenir en garde contre les
dangereux conseils de l eur sensibilité :
au c un consul n'a enregistré avant l eur
départ de Tu r qu i e une de s c r i p t i on
authentique de leurs blessures ; leurs
blessures ne comptent pas. Soit, mais
dans l a région l a plus éprouvée depuis
un
an , au Sassoun et à Mo u c h , les
choses ne se sont pas améliorées, tant
s'en faut; et là, le consul russe de V a n
et le c onsu l anglais de Diarbékir, i ns –
tallés à Mo u c h , ont p u être témoins
des meurtres et pillages énumérés
dans u n rappo r t que j ' a i sous les yeux ,
qui a été expédié à l a date d u 11 n o –
vembr e par le dernier c our r i e r venu
de B i t l i s en Eu r o p e .
A cette date on constatait que le
mouvemen t de c onve r s i on à l ' o r t h o –
doxie russe grandissait de j o u r en
jour et que des pétitions nouvelles se
signaient dans les assemblées : c'est
là le signe d'une détresse croissante.
E n effet, le projet de construire des
casernes au Sassoun n'est pas a b a n –
donné, mais ajourné et a u p r i n t emp s
les troupes de Sa Majesté Impériale
r e c ommenc e r ont l a tentative avortée.
L ' o c c upa t i o n de Sourp-Arakélotz pa r
An t r a n i k n'est qu ' un épisode de cette
longue lutte entre les Sassouniotes et
l'autorité ottomane qu i veut les d é –
truire à tout p r i x .
E n attendant, l a perception des i m –
pôts se fait plus férocement que j ama i s
et les ma l heu r eux q u i agonisent dans
les villages doivent payer maintenant
n o n seulement p ou r les absents ou les
émigrés, mais même p ou r les morts ;
faute de qu o i leurs derniers biens
sont saisis et au besoin leurs maisons
détruites, les poutres seules ayant
quelque valeur.
Les chefs kurdes q u i se sont le plus
distingués, cet été et cet au t omne , en
i nc end i ant et pillant les villages v o i –
sins de Mo u c h sont laissés impun i s .
Meheme d A l i de Pa z o u qu i s'est
installé à Khn i s s discute u n a r r ange –
ment à l ' ami ab l e avec les autorités
complaisantes. Quant à Haïdar, qu i
tua des personnes à Ak r a g , et à Chécho
qui détruisit T s i k h a v o u , le g ouv e rne –
ment a r e c onnu l eur parfaite i nn o –
cence et laisse entre les ma i n s de
Chécho deux jeunes filles arménien–
nes enlevées de force et réclamées
par leurs parents.
Le village de Ha z z o dans le B a s -
Sassoun et tous les villages du district
de Psana sont dévastés par les tribus
kurde s .
En f i n dans l a catégorie des meurtres
et pillages isolés, en trois j o u r s , entre
le 29 et le 31 octobre, à des endroits
relativement éloignés les uns des a u –
tres, i l faut relever :
Le 29 octobre, attaque de l ' Armé –
n i en Va r t a n Do n o y an , du v i l l age de
Sheïk-Yaghoub, par les Ku r d e s d u
village de P o y r a n ; v o l d ' un bœuf et de
ma r c hand i s e s ;
Le 30 octobre, les Ku r d e s de Teghe r
attaquent et dépouillent les nommé s
As d ou r , Avé et Ma r d i r o s du village
d ' Aghpu i en district du Mo d i k a n ;
Le 31 octobre le Ku r d e As n o , de la
t r i bu des D j i b r a n l i , attaque avec ses
homme s Va r t o et enlève d i x chevaux
et vingt mulets appartenant au c o u –
vent de Sou r p -Ga r ab e d .
Il plaît peut être à la finance euro–
péenne et aux divers gouvernements
qui sont ses serviteurs obéissants et
fidèles que l a partie sanglante continue.
Il plaît peut être aux six grandes n a –
tions de proie de laisser le c hamp l i b r e
à l a Bête p ou r vu que des concessions
de chemi ns de fer et de mi nes ou des
avahtages t e r r i t o r i aux soient c on s en –
tis en l eur faveur.
Il est b o n et conforme à l'intérêt des
homme s d'Etat que les enfants de
quatorze ans aient l a langue arrachée,
que les filles soient violées, les h omme s
tués, les villages détruits.
L a seule crainte des h omme s d'État
n'est po i nt que de nouveaux ma s s a –
cres se pr odu i sent , ma i s b i e n de n ' a r –
r i ve r pas les pr emi e r s à l a curée, pour
l ' honneur et le bon r e n om des peuples
qu'ils prétendent représenter, en toute
sagesse et prudence.
La violence ne l eur fait pas ho r r eu r
à c ond i t i on qu'elle atteigne seulement
les plus faibles.
Mais si les p l us faibles à l eur tour
se défendaient pa r les moyens déses–
pérés contre le mons t rueux Assassin
et contre ses c omp l i c e s , si que l qu ' un
troublait la fête...
P I E R R E
Q U I L L A R D .
L i r e dans
LA
REVUE
DE
PARIS
d u io décembre 1901
L ' A F F A I R E
T U R Q U E
P A R
VICTOR BÉRARD
Manifeste du Parti Hentcliakiste
Le parti révolutionnaire h e n t c l i a –
kiste a adressé au Pa r l eme n t français
l ' appe l suivant que M . Georges C l e –
menc eau dans le
Bloc
apprécie en ces
termes : « L ' E u r o p e n'ignore pas que
ce ne sont point là de vaines menaces.
Assuniera-t-elle pa r son indifférence
et l ' oub l i de sa parole la responsabilité
de l eur réalisation? »
A la séance du 3 novembre, la Chambre
française a interrompu les explications de
M . le Ministre des Affaires Etrangères
sur les affaires Lorando et Tubini, par un
cri unanime : « Et l'Arménie ? »
Les représentants du peuple français
exprimaient par là leur désir, partagé par
toutes les victimes de l'abominable ré–
gime turc, de voir le conflit franco-turc,
né d'un motif peu important, s'élargir et
amener la solution de la question des ré-
Fonds A.R.A.M