dit au vieux prélat : « Ils veulent peut-être
par ces moyens amener une intervention
européenne? Eh bien! sachez que les flottes
étrangères peuvent franchir les détroits et
les armées européennes envahir ma capi–
tale; mais avant qu'elles aient foulé ce sol,
les flots du Bosphore seront teints en rouge
du sang de tous les Arméniens ! » Le vieillard,
épouvanté, se jeta à genoux et implora le
Sultan, qui, sans plus vouloir l'entendre, lui
ordonna brusquement de se retirer.
Il ne se rappelait sans doute plus ces pro–
pos lorsque, au cours d'une audience accor–
dée après les grandes boucheries de
1896
à
Mgr Azarian, patriarche arménien catholi–
que, i l s'en justifiait, affirmant n'être nulle–
ment responsable de ces massacres qu'il
blâmait, et qu'on l'avait, disait-il, obligé de
faire exécuter.
Oubli ou hypocrisie, Abd-ul-Hamid n'avoue
jamais.
N'y a-t-il pas i c i une légère confusion
de date et de nom : « c'est en octobre
1895
qu'eut lieu l a manifestation toute
pacifique de l a Sublime-Porte et c'est sans
doute à Mg r Matthéos Ismirlian et non au
patriarche Atchikian, s i justement sus–
pect à son peuple, que furent tenus ces
abominables propos. »
NOUVELLES D'ORIENT
E N MACÉDOINE.
—
Les Macédoniens ne
semblent pas disposés à se laisser égorger
sans quelque tentative de défense. De là
les informations alarmantes sur la situa–
tion dans les vilayets de Salonique et de
Kossoro. On s'en est ému à Y l d i z et le
Sultan r éun i t une commission pour dis–
cuter sur les mesures à prendre : massacre
ou réforme ? I l est probable que l a com–
mission, comme celle qui s'occupa naguère
de l'Arménie, au même palais d'Yldiz,
préférera le massacre, plus expéditif et
surtout plus conforme au goût personnel
du ma î t r e . I l est aisé de p r é s ume r à quel
parti elle s'arrêtera, à en juger par les
conseils que l u i donne de Paris un journal
dont le sous titre est « Organe spécial des
intérêts de l'empire ottoman ».
Des informations de source assez sérieuse
portent que quelques cas de brigandage ont
été constatés récemment sur certains points
des vilayets de Salonique et de Monastir. Ce
sont ordinairement des Bulgares qui com–
posent et dirigent ces bandes de brigands.
D'aucuns pensent qu'il y aurait peut-être
lieu de mettre en vigueur la loi martiale pour
le rétablissement complet de l'ordre.
Nous croyons que sans aller jusque-là on
pourrait peut-être mettre à même les villa–
geois de se défendre contre les dévastations
des brigands. Pourquoi n'autoriserait-on pas
un nombre déterminé de villageois à s'armer
pour faire la police des routes avoisinant
leur commune.
S. A . Hali Rilfaat pacha, alors qu'il était
vali de Monastir, avait inauguré ce système
en mettant des armes à la disposition des
Conseils des vieux
de quelques communes.
On pourrait peut-être reprendre provisoi–
rement ce système qui, dans le vilayet de
Monastir, avait donné d'excellents résultats.
Ce système a donné aussi d'excellents
résultats en Asie Mineure, où l'on arma
les doux Kurdes contre « les brigands et
anarchistes arméniens », qu'ils étaient
déjà assez enclins à massacrer sans qu'il
fût nécessaire de les y exhorter et de les
y aider si impérialement.
L A
MISE EN LIBERTÉ D'ALEXAN AR –
ZOUIAN.
—
Grâce à l'intervention person–
nelle et à l'énergie du chargé d'affaires
des Etats-Unis à Constantinople, Alexan
Arzouian vient d'être mis en liberté :
mais i l est expulsé du territoire ottoman.
On ne l u i pardonne pas d'avoir été en
1895,
enfant encore, un des chefs les plus
écoutés des Armén i en s réfugiés dans
l'église de Péra ; quand ses compagnons
dupés par les ambassades r enonc è r en t à
la résistance, comme un an plus tard le
drogman russe Maximoff dupait égale–
ment les jeunes gens qui avaient pris pos–
session de l a Banque ottomane, Al exan
Arzouian, arrêté et condamné à mort,
fut sauvé par l'ambassadeur de France,
M . Paul Cambon. Cette fois i l était r en t r é
à Constantinople chargé d'une mission
pacifique, à tel point que sa fiancée, une
Française, l'avait accompagné. L'ambas–
sadeur de France actuel, M . Constans,
le
pacha tout en sucre, Cheker Constans
Pacha,
justifiant le nom qui l u i fut donné
par les familiers du Palais, a mis le con–
sulat de France à l a disposition de l a po–
lice turque et fait perquisitionner, fort
inutilement d'ailleurs, chez l a fiancée
d'Alexan Arzouian. Cependant M . De l -
cassé, chef responsable de l'ambassadeur,
passait en général pour ne vouloir point
imiter le sinistre Gabriel Hanotaux.
E n cette affaire, le gouvernement fran–
çais a montré envers l a Bête Rouge beau–
coup plus de déférence que la Bulgarie,
principauté vassale, dans un cas analogue :
le
23
novembre, tous les Bulgares arrêtés
sous prétexte d'affiliation au comité ma–
cédonien ont été relaxés, après une dé–
marche à Yh l i z de M . Geschow, agent de
la principauté.
CLÉMENCE IMPÉRIALE.
—
Les journaux
turcs du
28
novembre publient deux notes
émanan t de la cour d'appel correctionnelle
de Constantinople: nous n'aurions garde
d'en altérer le texte qui fait le plus grand
honneur à la générosité d'Abd-ul-Hamid :
La première annonce que le
colaghassi
D
r
Ismaïl Kémal, et Némira, membre de la
presse étrangère, qui se sont enfuis à Paris
où ils ont procédé à la publication d'un ou–
vrage séditieux, ont été jugés par défaut par
la cour criminelle. Ils ont été condamnés aux
travaux forcés à perpétuité, à la perte de
leurs droits civiques et à la confiscation de
leurs biens.
La deuxième note concerne les nommés
Nouri, Ahmed et Nazmi, étudiants à l'école
de médecine. Ceux-ci se sont sauvés à Lon–
dres où ils publient un journal subversif sous
le nom
d'Osmanli.
Accusés de crime, ils ont
été jugés par défaut. Leur culpabilité ayant
été établie, ils ont été condamnés à la peine
de mort, à la privation de leurs droits ci–
viques et à la confiscation de ieurs biens.
ENIS PACHA.
—
Enis pacha, vali d'Alep,
vient de quitter le chef-lieu de la province
pour entreprendre une tournée d'inspec–
tion dans l'intérieur. C'est un scandale sans
nom que ce personnage détienne encore
une parcelle quelconque d'autorité. Lors–
qu'il avait rejoint son poste, les ambassa–
des avaient protesté et on lui avait conseillé
d'être malade par mesure administrative.
Il faut croire que la protestation des am–
bassades était une pure comédie puisque
le bandit de Di a r b é k i r est maintenu dans
sa position et entend bien accomplir son
office naturel qui est de massacrer : i l va
se rendre compte sans doute, sur place,
de ce que fut l a tuerie d'Orfa ou celle de
Marache et p r épa r e r l a destruction des
Armén i en s qui ont survécu aux exploits
de Nazif pacha.
Puisque les puissances européennes et
notamment l a France qui avaient exigé sa
destitution en
1895
semblent avoir oublié
le passé de cet égorgeur i l faut bien rappe–
ler sommairement quel fut alors son rôle.
Va l i intérimaire de Di a r bék i r , i l laissa le
cheikh de Zéïlan e tDj émi l pacha, ancien
gouverneur de l'Y'emen, p r é p a r e r le mas–
sacre de l a population a rmé n i e nn e . Ma l –
gré les assurances données par l u i aux
consuls européens qui l'avaient averti, on
tua du
I
ER
au 4 novembre sans disconti–
nuer : les soldats et les hommes de police
prirent part au pillage et à regorgement.
Le consul de France, M . Meyrier qui fail–
lit périr, a décrit les atrocités commises
dans une longue lettre adressée à M . Paul
Cambon.
Ce n'est en réalité que le samedi matin que
le massacre en règle a eu lieu. Jusqu'alors
on égorgeait les chrétiens dans la rue, on les
tuait sur les terrasses en tirant des minarets
et des fenêtres, mais on n'avait pas encore
attaqué les maisons. Ce jour-là, au lever du
soleil, le carnage a commencé et a duré jus–
qu'au dimanche soir. Ils s'étaient divisés par
bandes et procédaient systématiquement,
maison par maison, en ayant bien soin de ne
pas toucher à celles des Musulmans. On dé–
fonçait la porte, on pillait tout, et si les ha–
bitants s'y trouvaient, on les égorgeait. On a
Fonds A.R.A.M