et l'exécution des clauses du traité de
Berlin. On sait le cas qui a été fait à
Constantinople de ces clauses si solen–
nellement acceptées à Berlin. L a jus–
tice abolie, les lois foulées aux pieds, les
contribuables écrasés sous des impôts
injustes et arbitrairement perçus, l a con–
fiscation rétablie, le Trésor public mis au
pillage, les serviteurs de l'État privés de
leur salaire, l'armée de sa solde, des po–
pulations inoffensives exterminées en
masse, tout le pays réduit à l'extrême
misère.
Laissera-t-on durer encore cet état d'a–
narchie, de nihilisme officiel? Les gou–
vernements continueront-ils à assister
impassibles à l a perpétration de méfaits
sans précédent? L a France, que des rela–
tions séculaires attachent à l'Orient, qu i
a, sans doute, conscience des obligations
qu'elle a contractées envers les sujets du
sultan en s'opposant, par ses plénipoten–
tiaires au congrès, à ce que l'exécution
des clauses stipulées en leur faveur fût
placée sous le contrôle des puissances
contractantes, saura rester digne d'elle-
même en exigeant, avec l'autorité qui l u i
revient, les remèdes les mieux appropriés
aux plaies qui rongent l a Turquie. Ces re–
mèdes, d'ailleurs, se trouvent tout indi–
qués dans le traité de Berlin et les proto–
coles qui en sont l a jurisprudence. Les
articles
23, 61
et
G2,
et les règlements or–
ganiques élaborés conformément à leurs
dispositions, précisent tous les droits ac–
quis, tant aux populations de l a Turquie
d'Europe qu'à celles de la Turquie d'Asie.
La non application des stipulations du
traité constitue une infraction qui, d'après
l'opinion émise par le président du con–
grès dans la séance du
9
juillet, obligerait
les puissances à s'en préoccuper et à s'en–
tendre en vue de nouvelles réunions d i –
plomatiques. C'est donc l a réunion d'une
conférence ou d'une commission interna–
tionale qui s'impose aujourd'hui et dont
la mission serait de reviser les règlements
déjà promulgués et qui sont restés lettre
morte, d'en élaborer d'autres mieux adap–
tés aux circonstances et aux besoins ac–
tuels, après avoir recueilli les avis des
populations intéressées et en ayant soin
de ne laisser aucune place aux intrigues
par lesquelles on chercherait à dénaturer
aux yeux des musulmans les intentions
des puissances. I l va sans dire qu'une des
mesures que l a situation commande, ce
serait l'administration par cette commis–
sion, conjointement avec la Sublime Porte,
des finances jusqu'à l'achèvement de l'or–
ganisation à introduire. Et lorsque l'Eu–
rope aura mené ainsi à sa tâche jusqu'au
bout, musulmans et chrétiens, peuples
de la Turquie d'Europe et de l'Asie, béné–
ficiant sur le même pied d'une justice
égale pour tous, cesseront d'être divisés
pour être mieux écrasés, mais tous, réu–
nis dans un même sentiment de gratitude,
ils béniront les libérateurs auxquels ils
devront de vivre en paix et de jouir de
leur travail.
I S M A I L
K E M A L B E Y .
C O R R E S P O N D A N C E
d'un vicaire du Patriarcat pendant
les années 1899, 1900 et 1901
E X T R A I T D E L A
L E T T R E D U
28
F É V R I E R
1901
Selon le désir du Patriarcat — qui est
aussi notre désir — malgré nos efforts
pour faire utiliser le couvent de Sourp H .
dans un but d'intérêt public, nous n'avons
abouti à rien, car le lieu et les tournures
défavorables du temps ne le permettent
pas, le couvent est environné par des
Kurdes barbares et brigands; seulement,
pour constater son existence comme un
bien appartenant en propre à la nation,
nous y avons fait établir avec sa famille
le prêtre Der P . de N . , comme vicaire-
abbé; et au moins ainsi i l reste un couvent
arménien, quoique sans utilité.
Je dirai, entre parenthèses, qu'il y a
quatre à cinq ans, le couvent étant resté
sans abbé et dans un état abandonné, les
cheiks et les aghas d'alentour avaient
décidé de changer le couvent en un lieu
de pèlerinage ou en une mosquée; d'au–
tant plus que Sourp H . est appelé par les
Kurdes ou les peuples non chrétiens,
«
der Eumer » (der, en kurde signifiant
église); et juste en face du tombeau de
Sourp H . , en dehors du mur de l'église,
on montre une tombe entourée d'une
chaîne, destinée aux pèlerins non chré–
tiens.
E X T R A I T D E L A L E T T R E D U
29
M A R S
I 9O I
Comment j'ai été conduit à T ?
—
Le mercredi
14
courant, vers trois
heures, je fus appelé par le major de l a
gendarmerie et on m'a communiqué que
je devais aller à T., sur la demande de
l'adjoint du procureur général; l'adjoint
du procureur général de notre lieu nous
a dit à peine qu'il s'agissait d'affaire de
politique. Quand j ' a i appris cela, j ' a i pu
m'imaginer à quel degré l'affaire avait
d'importance et de gravité; i l s'agit tout
simplement de la correspondance que j'a–
vais eue avec le vicaire de T., n i plus n i
moins; quoique j'aie proposé, simplicité
innocente, d'aller à « l'Aratchnortaran »
(
maison de l'arachnort) et de m'apprêter
à me mettre en route de bonne heure, ma
proposition fut refusée et je fus conduit
dans l'une des chambres de l a prison. L a
nouvelle de mon emprisonnement, s'étant
répandue par toute la ville, jeta les A r –
méniens dans l a terreur et l'épouvante.
Le lendemain, vers l'aube, nous partîmes
avec trois agents et étant arrivé à T.,
trois jours après, on m'enferma dans une
chambre obscure et humide- Le jour sui–
vant, après un interrogatoire, on me
relâcha comme innocent; quelques jours
après avoir quitté T., nous sommes arri–
vés sain et sauf à B .
E X T R A I T D E L A L E T T R E D U 6 A V R I L
I 9 0 I
Nous déclarons avec regret, que malgré
les efforts de Votre Béatitude, depuis deux
ans, ceux de 1' « Aratchnortaran » de C.
et les miens, je n'ai pu réussir et je ne
réussirai jamais à reprendre en main les
droits séculaires de B . , c'est-à-dire, avoir
un siège et une voix dans le conseil de
l'administration. Les fonctionnaires,
disent pour moi, que
Y
«
Aratchnorte »
des Arméniens est un homme très pointil–
leux, jaloux de ses droits, subtil et têtu.
Il y a un mois, l a fille de L . , de S.,
fut enlevée et on l u i fit embrasser l'isla–
misme par contrainte et par menaces.
Dans le conseil, la malheureuse fille et
ses parents ont déclaré ouvertement
qu'elle avait dix ans ; nous aussi nous
avons fait remarquer que l a conversion à
l'islam d'une jeune fille de dix ans est
contraire aux dispositions de l a l o i . Les
membres du conseil en raillant, nous ont
fait démentir et ont fait écrire que l a
jeune fille avait dix-sept ans; je n'ai pas
signé ce jour-là l a déclaration par écrit de
la jeune fille. Cinq jours après, une
deuxième fois la jeune fille fut amenée au
conseil et on lui fit donner sa déclaration ;
la jeune fille déclara avoir quinze ans, et
elle dit qu'elle avait encore déclaré, cinq
jours auparavant qu'elle avait quinze ans,
et qu'on avait mal enregistré. C'est ainsi
que par une rapidité étonnante et par une
magie arabo-indienne, la jeune fille, en
cinq jours, a vécu cinq ans et a atteint
ainsi sa quinzième année ; ce qui l u i per–
mit d'embrasser l'islam. Les membres du
conseil aussi ont confirmé que l a jeune
fille avait quinze ans, en considérant ses
seins, les lignes de son poignet et je ne
sais encore quoi.
Je veux vous noter i c i ces quelques
points essentiels qui se dressent toujours
devant nous comme de sombres ombres
infernales, et nous énervent :
i° I l est impossible ici qu'un commer–
çant ou un ouvrier réussisse à venir à
Constantinople ; car on leur refuse le pas–
seport en disant que les Arméniens sont
des révolutionnaires, alors que les Sy–
riens et les Chaldéens sont libres d'aller
où ils veulent, car ils sont fidèles.
2
°
Comme moi-même je suis privé du
droit de siéger au conseil d'administra-
Fonds A.R.A.M