sins eux-mêmes sont officiellement
chargés par leur chef de rétablir
l'ordre, au sens hamidien du mot.
Au même moment, par son inso–
lente mauvaise foi dans une affaire où
sont engagés de gros intérêts finan–
ciers, le sultan oblige l'ambassadeur
de France à prendre une attitude éner–
gique et comminatoire : s'il ne paie
pas à temps, s'il ne donne pas les
garanties exigées, c'est la rupture com–
plète, presque la guerre, et, déjà, des
cuirassés vont appareiller pour le L e –
vant.
Il nous importe méd i oc r emen t que
les familles Tubini et Lorando re–
couvrent de vieilles créances et que
les Quais soient ou non rachetés pour
quarante ou quarante-cinq millions.
Mais, par cet incident, la preuve est
faite sur deux points.
Hami d en est arrivé à un état de
folie lucide où i l ne se rend plus
compte exactement des limites de son
pouvoir; parce qu'il a massacré impu –
némen t , sans être châtié de ses crimes,
il se croit toute licence de berner en
tout les puissances européennes res–
ponsables de sa folie, dans des
mesures diverses ; la
Frankfiiter Zei-
tung
indiquait tout r écemmen t les
lourdes fautes commises par la diplo–
matie allemande, et dans le règlement
des indemnités pour les massacres de
1895-1896,
les États-Unis d'Amérique
ont fait montre d'aussi peu d'énergie
que les nations européennes elles-
mêmes . I l est donc naturel qu'Hamid
se laisse entraîner aux plus outra–
geantes extravagances avec l'espoir
secret d'être soutenu par une puissance
dissidente.
Un autre point est acquis. Il est pos–
sible de réduire ce fou à la raison par
une attitude comminatoire ; à tout le
moins une attitude comminatoire est
la seule qui convienne. Le langage
unanime de la presse européenne, en
cette circonstance, montre assez que
personne n'en doute, ni à Londres, ni
à Berlin, ni à Vienne, et c'est par la
force qu'il faut traiter celui que les
Daily News
appellent « un criminel de
profession » qui ajoute à la qualité
d'assassin celle de voleur.
Si, pour une question d'argent, le
gouvernement français semble, après
avoir encore tergiversé, s'être main–
tenant interdit un recul qui serait
déshonorant ; s'il estime pouvoir cou–
rir le risque apparent d'événements
graves, i l est de son devoir d'inter–
venir avec une énergie égale dans une
question d ' human i t é élémentaire.
Voilà cinq ans exactement, quand
après avoir noyé l'Arménie dans le
sang, la Bête se déchaîna à Constanti–
nople même ; quand les bandes d'as–
sassins se répandirent dans les rues de
la ville tuant tout ce qui était a rmén i en
et rentrèrent au Palais, lieu d'asile
connu des personnes de connaissance,
selon la note collective des ambassa–
deurs, M . d e l à Boulinière, chargé d'af–
faires de France, avertit son gouverne--
ment que le Sultan lui-même armait
la main des assommeurs. Alors M . Ga–
briel Hanotaux prit le parti de la
Bête.
Aujourd'hui le même égorgeur con–
tinue son œuv r e : mais pour un grief
autre que les pires crimes, le pacte i n –
famant conclu avec lui est déchiré.
M. Delcassé ne voudra pas sans doute
qu'on lui puisse adresser l'injure mé –
ritée dont les
Daily Nevs
ont flétri
Lo r d Salisbury : « Il n'y a pas d'or en
Arménie. »
Les révolutionnaires a rmén i ens dro-
chakistes, maîtres de la Banque Otto–
mane, le 26 août 1896, pouvaient dé–
clarer en toute justice :
Non seulement l'Europe n'a pas arrêté
la main du bourreau, mais encore elle
nous a impudemment imposé la résigna–
tion.
«
L a force prime le droit », nous a dit
l'Europe par son indifférence homicide et
nous les faibles, les privés des droits hu–
mains, nous nous voyons obligés de nous
adresser à la science pour briser le joug-
abominable du Sultan.
Depuis ce temps, la créance sanglante
due aux Arméniens par Abd-ul-Hamid
s'est accrue encore ; que M . Delcassé
la fasse valoir : i l n'est pas de pres–
cription pour les dettes de sang et si les
cuirassés doivent forcer les Dardanelles
et apparaître devant Yldiz, i l ne faut
pas que ce soit pour y prendre un m i –
sérable
saraf
qui ne tient pas ses enga–
gements financiers, mais pour y châ–
tier un assassin, l'Assassin.
PIERRE
QU I L LABD .
L'Anniversaire de l'attaque de la Banque Ottomane
(
RÉCIT D'UN TÉMOIN)
D'une part la mauvaise foi et tes tergiver–
sations du gouvernement du sultan dans
l'exécution des réformes, d'autre part tes per–
sécutions incessantes et sans merci, les ar–
restations arbitraires dans la capitale et
dans les provinces, les massacres partiels ou
totaux qui s'effectuaient dans i'empire, la si–
tuation infernale où vivaient les Arméniens,
l'incurie et le mépris cynique de la Turquie
officielle envers ce qui est arménien et son
désir absolu de la justice, ont amené, en
1896,
le parti révolutionnaire arménien,
Daschnaktzoutioun,
à transporterprovisoire-
ment la base de ses opérations à Constanti–
nople, et par un coup hardi, faire retentir,
aux oreilles mêmes dupadischah sanguinaire
et de l'Europe indifférente ie cri de détresse
de l'Arménie martyrisée. En même temps, on
voulait faire comprendre à fa Bête Rouge,
dans son antre d'Yldiz-Kiozk, qu'il est émi–
nemment dangereux de jouer avec la vie
d'une nation; tôt ou tard, des profondeurs
mystérieuses de la foule ' opprimée, surgit
brusquement la vengeance légitime.
Précédemment, le projet de la manifesta–
tion était conçu d'une façon plus large.
L'exécution intégrale de ce projet, qui serait
une leçon dure pour le sultan et pour ses
successeurs, n'a pas recueilli l'approbation
générale. Non seulement on devait attaquer
la Banque — cette citadelle de nos malheurs
mais mettre le feu à Constantinopie, qui,
à coup sûr, serait réduit, dans l'espace de
peu de temps, à un désert de cendres. L'Ar–
ménie serait vengée, et le sultan
Edebsiz
ver–
rait, avec ses yeux sanglants, le fruit néfaste
de son règne infâme.
Le
14/26
août fut désigné comme le jour
de ce coup mémorable.
Le comité révolutionnaire avait distribué
ses forces sur les divers points de Constanti–
nople, en en concentrant la majeure partie
sur la Banque ottomane et à Psammatia.
L a police avait pris vent quelques jours
auparavant du dessin des Arméniens, mais
elle était complètement ignorante des détails
et du jour de l'exécution.
Le mercredi
26,
au matin, tout était prêt. Le
coup aurait lieu à une heure de l'après-midi.
Pour ce fait étaient choisies une cinquan–
taine de personnes, dont vingt-six seulement
purent arriver à l'heure fixe. Juste à une
heure, six camarades armés de revolvers se
dirigent vers la Banque. Il y eut un engage–
ment avec les gardiens et les deux soldats,
qui furent tués à coups de revolver. Les atta–
quants aussi eurent quelques tués.
Les suivants, chargés de dynamite et de
bombes, arrivent et rejoignent leurs cama–
rades, qui, par leur intrépidité, leur dévoue-
Fonds A.R.A.M