M. Anatole Leroy-Beaulieu faisait la conférence. Pendant une
heure et demie, i l a su intéresser l'auditoire, dont l'attention ne
s'est pas lassée un instant.
M . Leroy-Beaulieu n'est pas de ceux qui croient qu'il convienne
de se taire, par prudence ou par crainte de complications, en face
des événements qui viennent de se passer en Arménie : au con–
traire, la justice et l'honneur exigent qu'on parle pour faire con–
naître la vérité. Le gouvernement français se sentira beaucoup
plus fort pour faire entendre les protestations nécessaires, quand
il sera soutenu par l'opinion publique, demandant que les crimes
du passé se réparent et que des garanties soient données pour
assurer aux chrétiens d'Orient, clients naturels de la France, la
sécurité de l'avenir.
Dans un langage d'une modération voulue, mais d'une autorité
d'autant plus grande, l'éminent conférencier, après avoir dit ce
qu'était l'Arménie, a fait le tableau des persécutions et des dénis
de justice dont cette vaillante nation a été depuis longtemps l'ob–
jet. Le grand péril pour elle est le voisinage des Kurdes, des Lazes
et des Tcherkesses repoussés par les Russes, peuplades à la fois
musulmanes et pillardes que l'appât du gain, en même temps que
le fanatisme musulman précipitent périodiquement sur les paysans
et les marchands arméniens.
Par un article formel du traité de San Stefano, reproduit par
celui de Berlin
(1878),
la Porte s'engagea à réaliser,
sans retard,
les réformes nécessaires dans les provinces habitées par les Armé–
niens et à garantir leur sécurité contre les Kurdes et les Circas-
siens ;
l'exécution de ces mesures devait être surveillée par les
puissances.
Cet article, accueilli avec joie par les Arméniens, resta lettre
morte. Depuis dix-huit ans, malgré leurs réclamations, ils n'ont
pu en obtenir l'exécution. C'est alors que dans deux ou trois loca–
lités, Bitlis, Mouch, les Arméniens se laissèrent aller à imiter
l'exemple, suivi de succès, des Grecs, des Bulgares, des Cretois,
et tentèrent de résister les armes à la main. La répression fut
prompte et terrible, si prompte et si étendue, embrassant non
seulement les cantons où la révolte avait éclaté, mais les régions
Fonds A.R.A.M