moindre tenture pour couvrir ces corps nus et affreusement muti–
lés pour la plupart. Des bras, des jambes et même des têtes fracas–
sées et quelques-unes réduites en bouillie, pendaient par-dessus le
rebord de ces chars !
Sur un ordre supérieur, le carnage avait cessé jeudi (deuxième
jour des massacres), dans la nuit. Mais le massacre a duré jusqu'au
vendredi matin.
Je ne saurais décrire la panique qui a envahi les habitants de la
capitale, surtout les Arméniens, tant grégoriens que catholiques.
L'état de siège y est déclaré. C'est la terreur qui, depuis ces der–
niers jours, règne à Gonstantinople et dans ses faubourgs.
Les Arméniens catholiques, qui avaient déjà tant souffert lors
des désastres d'Anatolie, ont eu aussi à déplorer ici de nombreuses
victimes. On en compte une
quarantaine
environ, entre autres un
vénérable ecclésiastique octogénaire, l'archiprêtre Athanase Ba-
thiar, que l'on a trouvé massacré dans sa résidence sur le Bosphore,
avec deux dames, ses proches parentes.
I l en est qui ont dû se cacher pendant plusieurs jours au fond
des caves ou des citernes pour se soustraire aux perquisitions
des hordes sanguinaires, au risque d'y mourir d'asphyxie ou de
faim ! On devine les angoisses des parents de ces derniers durant
les longues heures de leur mystérieuse disparition, comme aussi
le désespoir des familles, dont les membres n'ont plus reparu.
Les dégâts matériels des Arméniens sont considérables. La sta–
gnation de plus en plus accentuée des affaires, conséquence inévi–
table de la situation présente, augmente dans des proportions
effrayantes la misère publique.
Les propriétaires des magasins, les commerçants, etc., jouissant
de quelque aisance,peuvent encore, pendant quelque temps, subve–
nir à leurs besoins, quoique modestement, et en limitant leurs dé–
penses au strict nécessaire, tandis que les ouvriers, qui ne vivaient
que du produit de leurs journées, sont déjà aux prises avecles dou–
loureuses étreintes de la misère de plus en plus noire. La situation
actuelle les ayant laissés sans travail, on voit déjà nombre d'entre
eux demander l'aumône à leurs patrons pour procurer du pain à
leurs enfants.
Fonds A.R.A.M