Cette fois, cependant, la situation revêtait un caractère de g r a –
vité qui ne permettait plus aucune tergiversation de la part de
l'intervention diplomatique. Mais, jusqu'à ce que celle-ci eût pu
faire sentir l'efficacité de son action tardive, la férocité des assom-
meurs, armés de gourdins et de coutelas, et fanatisés par la com–
plicité systématique des soldats et des agents de police, avaient
abattu comme des chiens plus de huit mille Arméniens sans défense
et dont les cadavres, hideux à voir tant ils étaient défigurés par
l'acharnement sauvage des bourreaux, gisaient dans les rues qu'ils
empourpraient de ruisseaux de sang !
Cette infâme boucherie n'a pas, en eifet, duré moins de cinquante
heures, et cela avec une rage tellement infernale, que si elle avait
continué encore quelques heures, pas un Arménien mâle ne fût
resté vivant dans la capitale et la banlieue ; car i l importe de savoir
que le
mot d'ordre
visait l'extermination du
sexe fort
de la nation
persécutée, et que les excès d'autre genre, tels que les attentats
contre la pudeur, le massacre des femmes, l'enlèvement des jeunes
filles, les incendies, ce cortège inséparable des massacres d'Anato-
lie, étaient rigoureusement interdits ici, et,
détail significatif,
les hordes indisciplinées, aussi bien que la soldatesque, même au
plus fort du déchaînement de leur barbare fureur, ont fidèlement
obéi à la consigne.
Le pillage seul était autorisé, comme accompagnement de ces
effroyables tueries. Les dommages matériels causés de ce chef
s'évaluent à plusieurs millions de livres turques, les pillards s'étant
attaqués de préférence aux magasins des principaux centres d'af–
faires.
Quant aux cadavres des pauvres victimes de l'inqualifiable car–
nage, après avoir été tous préalablement dépouillés des vêtements,
de l'argent et d'autres objets dé valeur qu'ils pouvaient avoir sur
eux, ils étaient entassés pêle-mêle sur d'ignobles chars pour être
dirigés vers le cimetière ou vers la mer. On a compté jusqu'à
quatre cents de ces tristes véhicules.. Quel lugubre convoi, mon
Dieu ; aucun signe religieux! point de croix ! point de prêtre !...
Chaque char était gardé par un soldat ou un agent de police, et,
chose qui faisait reculer d'horreur les spectateurs terrifiés, pas la
Fonds A.R.A.M