L A T U R Q U I E N O U V E L L E E T
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ANCIEN
R É G I M E
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E t le pouvoir de la presse est tel encore, malgré ses abus
et le discrédit qui devra en résulter un jour, que les impres–
sions fausses, injustes, se sont comme infiltrées dans le
monde entier, et ceux-là même qui, par état, par devoir, ont
les moyens d'être exactement renseignés, en ont eu souvent
les idées déformées. Les exemples autour de nous seraient
innombrables.
Je n'en citerai qu'un, car celui-là est d'importance.
L'Empereur Guillaume I I demandait un jour à l'un de
nos diplomates, qui me le racontait avant-hier : — Vous
connaissez les pays musulmans : croyez-vous vraiment que
les Turcs puissent être civilisés?
La réponse très affirmative de notre compatriote ne
paraît pas avoir converti le Kaiser, puisqu'il sent aujour–
d'hui, et les Allemands le sentent aussi, et cruellement, à
quel point sa vue fut courte, sa perspicacité limitée, en
s'alliant délibérément avec le Palais d'Yldiz contre les
Ottomans opprimés. Sans cette complicité, vraiment cou–
pable, i l y a onze ans que la Turquie eut été libre; on le
saura sans doute quelque jour; en attendant, je crois pou–
voir l'attester.
Vous me direz peut-être : mais la Turquie n'est pas aux
Antipodes ; on y peut aller en trois jours. On y va, oui ; mais
on y est allé, le plus souvent, sans rien voir et sans rien
savoir des Turcs. Pour plusieurs raisons, surtout à cause de
la rigueur du régime passé, les Turcs n'avaient, on peut le
dire, aucune communication avec les étrangers : une con–
versation, un mot, un regard les compromettait aux yeux
des espions, partout à l'affût. Le touriste revenait enchanté
des splendeurs du Bosphore, amusé par le pittoresque de
Gonstantinople ou des autres villes qu'il avait traversées. I l
n'avait pas pu voir les Turcs; il ne connaissait pas la Turquie.
Bien plus ! des chrétiens, qui séjournaient en Orient,
avaient la plus grande peine à les connaître, si invraisem-
Fonds A.R.A.M