VI
PRÉFACE
que n'étonne plus grcmd'chose, que d'entendre disserter, sur
l'avenir de l'Empire Ottoman et sur la politique générale de
l'Europe, en un français parfait et avec les idées les plus
larges, les plus modernes, de jeunes politiciens turcs, dont
les parents n'avaient certainement jamais parlé que la
langue deMahomet.
J'en étais personnellement très satisfait — avec une petite
pointe d'amour-propre : car, quelques années auparavant,
alors que personne au monde — je veux dire le monde
européen, — n'avait la moindre idée d'une
révolution
possible en Turquie, j'avais écrit, en simple chroniqueur,
qu'un bouleversement se produirait inévitablement chez les
Musulmans, quand leur esprit se serait ouvert à notre
culture, soutenue par leur culture vieille de tant de siècles !
L'Empire des Croyants n'était qu'endormi et se réveille à
la vit générale.
C'est par un de ces Jeunes Turcs que j'ai entendu dire
familièrement
que son parti avait pu faire sa révolution
en économisant l'échafaud de Charles I" et la guillotine de
Louis XVI. C'est par le même orateur que j'ai entendu pro–
noncer les paroles les plus indignées, les plus
méprisantes,
les plus sévères, pour « le
monstre à face humaine
»
qu'était
Abdul-Hamid— Abdul-Hamid représentant ce qu'avait été la
Turquie et ce qu'elle ne sera plus : car les haines de races
entre les Turcs et les Arméniens, même quand ceux-ci ne
sont pas massacrés, sont toujours une monstruosité, qui
disparaîtra
inévitablement,
d'ailleurs, lorsque le grand
agent moderne, la roule ferrée, pénétrera partout en
Anatolie.
Et maintenant, mon cher Brézol, je crois que j'ai à peine
besoin de souhaiter bonne chance à votre nouveau volume,
qui va passionner, dans tous les milieux politiques — et qui
prouvera, une fois de plus, que les écrivains, dits d'imagi–
nation, comme vous l'êtes très souvent, ne travaillent, en
réalité, que d'après le document: et, d'ailleurs... l'imagina–
tion n'est-elle pas, par dessus tout, de l'observation mise en
action ?
Pierre SALES.
Fonds A.R.A.M