AVANT-PROPOS
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la sagesse d'une nation à l'avenir sans cesse menacé,
au devenir constamment remis en question.
Sérieuse, trop sérieuse poésie de l'Arménie, à l'image
même de son peuple. Si rares furent les loisirs qu'il put
avoir au cours des millénaires pour se complaire aux
jeux apparemment gratuits du langage. Le merveilleux
et la fantaisie dans cette poésie gardent un arrière goût
d'amertume, que n'atténue même pas une pointe d'ironie,
èt le songe arménien s'y consume raisonnablement, dans
les limites d'un horizon où de part et d'autre d'une fron–
tière demeurent, pour en vérifier la réalité : à l'ouest,
les ruines, seulement, et les stèles du passé magnifié ;
à l'est, les villes au présent et les monuments de la patrie
renaissante.
L'héritage revendiqué justifie alors à tout moment,
par l'enchaînante douleur fortifiée puis par l'inaltérable
espoir, vivifiée, la promesse du bonheur enfin accompli.
Puissance politique de la poésie : en est une immuable
illustration la parole arménienne, tragiquement déter–
minée par la gravité de l'événement, et qu'assume dans
la continuité de son écriture, par l'invention de son
alphabet dans la mémoirefixée,le verbe rayonnant
auquel ce peuple voue un amour sacré et auquel il
assigne une fonction de sauvegarde de l'entité nationale,
donnant ainsi naturellement aux poètes leur place privi–
légiée dans la cité pour qu'ils y soient de droit ses
interprètes légitimes, respectés, honorés.
Rouben Melik.
Fonds A.R.A.M