AVANT-PROPOS
A quoi me serais-je autant plu à rêver qu'à ce livre
qui voit le jour après tant de patience mesurée, après
tant aussi d'inquiète impatience, et dont ces pages, à les
lire et relire, me donnent d'abord la raison de la durée
d'un peuple des vieux temps jusqu'à nos jours venu pour
porter témoignage — par la voix de ses poètes — de
son histoire, de sa culture, de son territoire, et pour
affirmer ainsi, parce qu'il le faut encore, contre l'oubli
facile, qu'en un lieu de ce monde que domine l'Ararat
et où coule l'Araxe, s'étend le pays arménien où prit
racine une des civilisations les plus anciennes qui soit.
Le vaste domaine du chant arménien ici rassemblé où
les siècles en nombre se succèdent et depuis l'antiquité se
comptent, j'en aurai parcouru la dimension pour mieux
connaître ou reconnaître, à l'accent alterné des deux
langues qui furent miennes dès l'enfance, tout ce qui en
fait la distante beauté de génération à génération trans–
mise, préservée, épargnée, malgré les invasions et les
guerres, les barbaries et les massacres. Malgré les dépor–
tations et l'ultime génocide de 1915.
Que j'entende soudain moduler la complainte ano–
nyme de l'exilé invoquant l'oiseau migrateur, que je
déchiffre, mot à mot lentement balbutiés, la prière du
moine en l'église dans le roc creusée, que la permanence
d'une litanie me hante ou que m'accompagne la chanson
Fonds A.R.A.M