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RAPPORT DU D
R
LEPSIUS
aux fuyards. Des gens armés allaient à cheval dans
toutes les directions. Deux hommes étaient assis sous
l'ombrage d'un arbre, et se partageaient les dépouilles
d'un mort ; l'un tenait entre ses mains une culotte de
drap bleu. Les cadavres étaient laissés tous complète–
ment nus ; nous en avons vu un sans tête.
Dans un village grec, situé sur notre route, nous ren–
contrâmes un homme armé, à la figure sauvage, qui
nous raconta qu'il était posté là pour surveiller les
voyageurs, c'est-à-dire pour tuer les Arméniens, et qu'il
en avait déjà tué beaucoup. I l ajouta, par plaisanterie,
qu'il « en avait établi un, roi des autres ». Notre cocher
nous expliqua qu'il s'agissait de 250 Arméniens travail–
lant sur les routes (inchaat tabouri) dont nous avions
vu en route le lieu d'exécution. I l y avait encore là
beaucoup de sang répandu sur le sol, mais les cadavres
avaient été enlevés.
Dans l'après-midi, nous arrivâmes dans une vallée, où
trois groupes d'ouvriers travaillaient sur les routes, des
Musulmans, des Grecs et des Arméniens. Devant ces
derniers, des officiers se tenaient debout. Nous conti–
nuâmes à monter sur une colline. Le cocher nous mon–
tra alors derrière nous, dans la vallée, une centaine
d'hommes à l'écart de la route, placés sur un rang à
côté d'un pli de terrain. Nous savions à présent ce qui
arriverait. A un autre endroit, le même spectacle fut
renouvelé. Dans l'hôpital de la mission de Sivas, nous
vîmes un homme qui avait échappé à un pareil mas–
sacre. I l avait été avec 95 autres Arméniens travail–
lant aux routes (ils avaient été levés pour le service
militaire) placé sur un rang, et dix gendarmes avaient
tiré sur eux tant qu'ils avaient pu. Les survivants
furent tués par les autres musulmans à coups de
Fonds A.R.A.M