DEVANT L E PROBLÈME ARMÉNIEN
87
V
Le traité de Sèvres, on le sait, n'a pas été ratifié ; 11 demeu–
rera cependant une étape des p l us importantes dans l'historique des
différentes attitudes adoptées par les Puissances envers l'Arménie,
depuis la fin de la grande g u e r r e . Le traité a proclamé solennellement
l'indépendance de l'Arménie, mais i l l'a très improprement limitée aux
parties arméniennes de l'ancien Empire
russe,
décevant ainsi les espé–
rances des Arméniens en une libération immédiate d'une partie au moins
de l'Arménie
turque.
S ' i l a annoncé l a pun i t i o n des responsables des
massacres et la libération des femmes et enfants maintenus dans les
harems turcs, comme la restitution ou la reconstruction des biens, i l
Grecs et Arméniens, snjets de la Turquie ou non, victimes des massacres commis pen–
dant la gnerre, pourraient donc, pour réclamer des indemnités aux auteurs des mas–
sacres, se constituer parties civiles devant le tribunal désigné, en vertu de l'article 230,
par les Puissances alliées.
Cette perspective assez aléatoire n'exonère cependant pas, & notre avis, les rédac–
teurs du traité de Sèvres du reproche de n'avoir pas nettement stipulé le droit a
indemnité pour les victimes des massacres. On ne saurait justifier le système du traité
de Sèvres par les précédents historiques. Certes, on a pu rappeler que les États dont
certaines parties se sont détachées au cours de l'histoire n'ont payé aucune indemnité
du fait des pertes des vies et des biens subies par leurs antiens sujets pendant les
périodes troublées précédant la séparation, n i A plus forte raison du fait de celles
essuyées par les congénères de la nouvelle nation restés les sujets de ces États. Mais
un des résultats de la grande guerre a fté justement de consacrer un droit nouveau,
le droit humain, dont les dispositions, sous forme de protection desminorités, ont été
incorporées dans toute une série de traités ; la violation de ces règles donne incontes–
tablement droit à un recours contre l'État qui s'en est rendu coupable. I l est vrai qu'on
pourrait objecter que ce droit nouveau ne saurait, en tout cas, avoir un effet rétroactif.
Mais cette objection, fondée pour d'autres États, ne s'applique pas au cas spécial de la
Turquie. Comme nous l'avons exposé plus haut, l'intervention d'humanité, avant de
passer dans le droit commun, a été pendant plus d'un siècle appliquée au seul Empire
ottoman.
Au cours de son histoire, la Turquie s'est à maintes reprises engagée vis-à-vis des
Grandes Puissances à respecter la vie, l'honneur, la liberté et la propriété de ses sujets
chrétiens. Par conséquent, en stipulant des indemnités au profit des personnes lésées
par les massacres et les déportations, mesures d'ailleurs incontestablement gouverne–
mentales et non pas dues à une guerre civile, les Puissances auraient non pas donné
une force rétroactive aux dispositions sur les minorités, mais simplement sanctionné
les articles des nombreux traités antérieurs avec la Porte par lesquels s'était manifestée
l'intervention d'humanité.
Enfin, dernier argument, qu»lle que soit la base légale qui ait permis aux Puissances
d'insérer dans le traité de Sèvres des sanctions contre les auteurs des massacres de
I9ID et d'ordonner la libération des captifs, la reconstruction des propriétés -et la
restitution des biens confisqués, on ne voit pas pourquoi ces dispositions, se rapportant
toutes au
pasté,
ne pourraient être étendues à l'indemnisation des veuves et des or–
phelins privés de leurs soutiens et au dédommagement des personnes frustrées de
leurs biens.
Fonds A.R.A.M