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Le Procès de Tehlirian
Le 6 juin, l'ambassadeur de la République à Berlin adressait un long rap–
port à son ministre des affaires étrangères à Paris :
«...
Seule la
Deutsche Tageszeitung,
ressortant tout l'arsenal de mensonges de
la propagande allemande, ose prendre la défense de l'ancien grand Vizir et
rejeter la responsabilité des événements sur les Arméniens eux-mêmes, «cou–
pables de haute trahison et instruments des Anglais et des Russes pour
démembrer la Turquie.»
Le plus remarquable des articles consacrés à l'acte de Tehlirian est celui de
Vorwaerts.
L'organe socialiste voit dans le procès qui vient de se plaider le
premier des procès contre les vrais coupables de guerre: «Ici, écrit-il, il ne
s'agit plus comme à Leipzig de la brutalité d'un caporal, qui, grisé par le senti–
ment de sa puissance, s'oublie jusqu'à bousculer des prisonniers, les souffle–
ter ou même les frapper à coups de crosse. C'est un peuple massacré et détruit
qui se dresse hors de sa tombe pour élever à haute voix sa plainte contre l'hor–
reur de la guerre et la brutalité de son bourreau».
Le
Vorwaerts
énumère ensuite les preuves de la responsabilité de Talaat...
Quant à Tehlirian, la feuille socialiste, tout en se défendant de vouloir glori–
fier l'assassinat politique, le compare à Guillaume Tell. Comme le héros de
Schiller, l'étudiant arménien peut s'écrier: « J ' a i vengé les droits de la sainte
nature. »...
Le 5 décembre 1922, M. Tschoffen, premier ministre, déclarait devant la
Chambre des Représentants belge:
«
J'apporte à la Chambre un récit douloureux... Un peuple qui aux frontières
de l'Orient a toujours défendu les droits de la civilisation occidentale, au
moment où je parle, achève de mourir. Il s'agit de savoir si nous assisterons
impassibles au prolongement de cette agonie, si nous ne ferons rien pour que
les puissances de l'Entente respectent la parole donnée...
Depuis l'armistice, les tribunaux allemands ont rendu au moins une sentence
en communion avec la conscience universelle; après les débats où fut soulevé
une partie du voile qui recouvrait tant d'atrocités, ils ont acquitté ce justicier.
(
T.B. ! de toutes parts)».
En 1942, Kémal Ataturk, venant de décéder, son successeur qui avait été
son bras droit mais qui avait été écarté du pouvoir pour son sectarisme, fit
transférer à Istanboul avec toute la pompe réservée aux héros de la patrie les
cendres de Talaat et lui fit ériger un somptueux monument funéraire... sur la
place de la Liberté ! Par la suite, chaque année, le Président de la République
turque se rendait à Istanboul le 21 mars pour commémorer la mort du
«
martyr» Talaat, l'un des plus grands criminels de l'Histoire. Son successeur
fit de même, qui fut pendu, mais pour autre cause (').
Marcus Fisch.
(')
Voir le procès Mendérès dans
Histoire des Turcs
par R.F. Peters, Payot 1966 p. 299 et s
Fonds A.R.A.M