Préface
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que le génocide des Arméniens, le Procès des Unionistes, c'est-à-dire des
membres dirigeants du parti ultra-nationaliste turc Union et Progrès, reste
pratiquement ignoré. L'importance juridique et politique de ce procès doit
être examinée. Sans doute, malgré la rigueur de certaines de ses sentences pro–
noncées à la sauvette, ce procès peut apparaître aux yeux de certains comme
un geste diplomatique destiné à calmer les Alliés. Il n'en constitue pas moins
une base juridique de première importance. Si le procès de Tehlirian prend
valeur d'exemple, celui des Unionistes possède une dimension supplémentaire.
Comment, en effet, les dirigeants de la Turquie d'aujourd'hui, qui rejettent
pratiquement toute responsabilité dans le génocide de 1915, pourraient-ils
décemment s'obstiner plus longtemps dans leur attitude, après la publication
de ce livre-preuves, dont chaque document peut être aisément authentifié.
Marcus Fisch, le traducteur des minutes, ne s'est pas contenté de présenter
une excellente traduction du compte rendu sténographique des minutes du
procès de Soghomon Tehlirian. Saisi progressivement d'une passion de vérité
et d'exactitude, le traducteur, que le récit des atrocités décrites par l'accusé et
les témoins bouleversait au fur et à mesure de son travail, a voulu voir les
acteurs du drame, les écouter, en recueillir des témoignages supplémentaires
et, par ce biais, mieux saisir l'atmosphère générale dans laquelle le procès se
déroulait.
Marcus Fisch est ainsi parvenu à rencontrer non seulement plusieurs
témoins arméniens comme Mme Tersibachian, M. Eftian, Dr Nazarian, M.
Khanzadian, mais aussi lafille de Lepsius, Gitta Lepsius, qui assistait son père
au procès et surtout Armin Théodor Wegner, ainsi que l'interprète Zacha-
riantz lequel, dès qu'il eut connaissance de l'arrestation de Tehlirian, réussit à
persuader Lepsius à se mobiliser, avec ses amis influents, en faveur de
l'accusé.
Il ne pouvait être question pour nous de publier tous les documents exis–
tant. Nous renvoyons le lecteur curieux à la remarquable bibliographie du
professeur Richard Hovanissian, de l'Université de Los Angeles, citant des
milliers de documents des bibliothèques et archives diplomatiques du monde
entier. Nous nous sommes bornés àfaire suivre le compte rendu du «Procès»
de documents inédits. Ceux d'Aram Andonian, d'abord, auteur d'un ouvrage
intitulé «Documents officiels concernant les massacres arméniens» et qui
remit à ce tribunal les fameux télégrammes expédiés par les autorités turques à
l'époque des massacres. Il s'y ajoute les lettres inédites du Consul allemand
Rôssler, du Comte von Hertling, chancelier du Reich, du nonce apostolique,
Eugène Pacelli, futur Pie XII, et enfin les suppliques du Pape Benoît XV,
adressées au Sultan Mahomet V dès le 10 septembre 1915.
Enfin, le chercheur a voulu que ce livre contienne les documents irréfutables
prouvant la préméditation du génocide; les Jeunes Turcs n'ont pas improvisé
les massacres — le projet en 10 articles publié ici dans son intégralité, le
Fonds A.R.A.M