PRÉFACE
Le procès de Soghomon Tehlirian, qui s'est déroulé à Berlin les 2 et 3 juin
1921,
occupe une place particulière dans l'histoire du peuple arménien. Il
demeure un événement d'une importance décisive, auquel s'attache une valeur
exemplaire, tant en raison des particularités de son déroulement que par le
verdict du tribunal allemand, verdict d'acquittement auquel les générations
futures ne manqueront pas de se référer, le cas échéant. A l'époque du procès,
l'Allemagne sortait vaincue de la guerre 1914-1918, et son alliée, la Turquie,
voyait son Empire démembré par les signataires victorieux du Traité dé
Sèvres, le 10 août 1920. Les articles 88 et 89 de ce traité consacraient l'indé–
pendance de jure de la République Arménienne du 18 mai 1918. Cette victoire
politique, si chèrement acquise et si fragile encore, ne pouvait satisfaire entiè–
rement les jeunes révolutionnaires, rescapés ou témoins impuissants des mas–
sacres, dont la plupart avaient rejoint les rangs de la Fédération Révolution–
naire Arménienne. Ceux-là rêvaient de venger les 1 500 000 victimes du pre–
mier génocide du XX
e
siècle, perpétré sur ordre du gouvernement jeune turc.
Dès le début des années 1920, une vague d'attentats allait coûter la vie à plu–
sieurs anciens dirigeants jeunes turcs, considérés comme les instigateurs du
plan d'extermination exécuté en 1915.
S'agissait-il d'actions préméditées, préparées de longue date et mises en
œuvre par une organisation révolutionnaire décidée à traquer les assassins jus–
que dans leurs repaires les plus cachés ? Ou alors, avait-on affaire à des actes
isolés commis par quelques jeunes survivants, incapables, au sens littéral du
mot, de supporter l'idée qu'un Talaat, un Behaeddine Chakir ou un Azmi
puissent vivre impunément,
après tant d'horreurs? Mais au fond,
qu'importe? Laissons aux historiens le soin de fixer les responsabilités et
bornons-nous à constater que plusieurs assassins, hauts-responsables, ont été
retrouvés, formellement reconnus en dépit de leur déguisement, et abattus.
Les terroristes-justiciers arméniens Torlakian, Chiraguian, Yerganian, quand
ils furent arrêtés, ont adopté une attitude de défense identique à celle de
Soghomon Tehlirian qui a toujours soutenu avoir agi seul et avoir été animé
d'un irrépressible désir de vengeance des siens.
Talaat, qui avait été condamné à mort par contumace par la justice de son
pays en 1919 (Procès des Unionistes), craignant manifestement moins la sen–
tence du tribunal turc que la vengeance des Arméniens, s'était enfui à Berlin.
Fonds A.R.A.M