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gorges profondes, infranchissables, et l'on comprend sans
peine, en parcourant sa vallée, le rôle très important qu'il a
joué comme fossé creusé par la nature entre les Etals armé–
niens et les possessions gréco-romaines du Pont.
Autrefois, les Alpes Politiques, dans leur partie située au
nord du Tcharoukh, appartenaient à des tribus portant les
noms de Macrones et de Moschiens : aujourd'hui ce sont les
Lazes qui occupent ces montagnes et, bien certainement, les
Lazes ne sont autres que les descendants des peuples visités
jadis par les Grecs de Xénophon, car ces gens, de langue cau–
casienne, habitent encore, sans aucun doute, le domaine de
leurs ancêtres.
Rien n'est plus curieux, pour celui qui a l'heureuse chance
de pouvoir visiter le Lazistan et qui parcourt ce chaos de
montagnes en relisant
VAnabase,
que d'observer les coutumes
de ces nations barbares. Aucune modification, sauf en ce qui
regarde les croyances religieuses, n'est venue transformer la
vie de ces montagnards depuis les vingt-cinq siècles qui nous
séparent des temps de Cyrus le Jeune. Les villages sont encore
aujourd'hui ce qu'ils étaient lors du passage des Dix Mille et
les peuples sont demeurés tout aussi farouches, aussi peu
hospitaliers que par le passé. De ce côté, l'expansion armé–
nienne se heurtait aux précipices du Tcharouth et, à cette
muraille géante des Alpes Politiques, dont bien des sommets
approchent de 4-ooo mètres de hauteur, rencontrait d'impé–
nétrables forêts et, par-dessus tout, des populations guer–
rières, énergiques, obstinément résolues à repousser toute
intrusion étrangère.
C'est à la présence des Lazes sur sa frontière du nord-ouest,
que l'Arménie doit de n'avoir jamais possédé de débouchés
sur la mer, et cette impossibilité, dans laquelle elle' s'est
trouvée, de communiquer directement avec les foyers de la
civilisation hellénique, a joué dans sa destinée un rôle capital,
néfaste; car s'ils avaient été les maîtres de la côte, s'ils
s'étaient établis à. l'embouchure du Tcharoukh, à Rizeh ou à
Trébizonde, les Arméniens eussent été à même de participer
au mouvement général du monde grec et l'Arménie eût formé
un grand Etat, capable de résister aux puissants Empires de
l'Orient et de l'Occident bien des siècles avant l'apparition des
Romains dans l'Asie Antérieure. I l suffit, pour comprendre
ce que serait devenue l'Arménie à l'époque romaine seulement,
de jeter les yeux sur ce qu'il nous reste des Annales du grand
Mithridate et des autres princes de sa lignée ; car les rois du
Pont ont fait de grandes choses, et cependant ils ne comman–
daient pas à des peuples aussi bien doués que l'est la nation
arménienne.
CHAP. I
Fonds A.R.A.M