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l'Ararat, messager de la puissance céleste, annonce aux hommes
que le dieu de Zoroastre s'apprête à lever sur le vieux monde
son disque d'or. Le Masis (') est la montagne merveilleuse de
l'Asie Antérieure, qui domine, écrase tout ce qui l'entoure, et
semble avoir été forgée par Vulcain, pour jeter le trouble dans
l'âme de celui qui la contemple.
A l'heure où, vers l'orient, le ciel s'embrase des feux pré–
curseurs He l'aube, alors que l'Arménie tout entière sommeille
encore, plongée dans les ténèbres, une tache de sang apparaît
dans la nue, brillante comme l'acier sur l'enclume du forgeron.
Lentement cette tache s'étend, s'allonge et prend la forme du
fer acéré d'une flèche géante, dont la pointe menace le ciel.
C'est la cime neigeuse du Grand Ararat, qu'empourprent les
premiers rayons du soleil, alors que l'astre lui-même, encore
caché pour les mortels, annonce sa venue par les clartés qu'il
répand dans la nue, au delà des montagnes noires (*). Seul le
sommet du colosse est éclairé par les feux de l'aurore : i l
semble entrer en fusion et s'écouler lentement pendant que
le char de Phébus s'élève sur l'horizon.
Sur la gauche du géant, surgit une autre pointe, plus basse,
aussi aiguë, elle-même ensanglantée : c'est le Petit Ararat que
touchent les premières lueurs du jour; et cette vision, cette
évocation des temps où les deux cratères vomissaient la flamme
et la lave ('), s'évanouit en quelques instants. Alors, vers le
couchant, se montre bientôt la cime d'un autre volcan éteint,
L'Alagheuz.
frère des deux Ararat, PAlagheuz (
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)
dont les neiges éternelles
apparaissent roses dans le ciel déjà bleu à cette heure, se
détachent sur le sombre chaos des montagnes de l'Arménie
occidentale. Peu à peu, des centaines de cimes sortent de
l'obscurité ; elles annoncent dans toutes les vallées la venue du
jour, tandis que l'ombre et la buée matinale enveloppent
encore toute la plaine de l'Araxe, Erivan, la vieille ville
fondée par le roi Ervand, Etchmiadzin, la cité sainte des
Arméniens. On entend au loin les cloches des églises sonnant
(
i ) Nom que donnent les Arméniens à
l'Ararat, Arghi-dagh des Turcs, Kouh-i-
Nouh des Persans (la montagne de l'arche
de Noé).
(
a) Le Qara-dagh et le Qara-bagh.
(3)
En turc : Àla-gheuz (l'œil azuré) ;
en arménien : Aragadz.
(4)
C'est à la fin de la période ter–
tiaire que le plateau de l'Iran et celui
d'Erzeroum ont émergé, que les volcans
•(
Ararat, Alagheuz, Lelwar, e t c . , Sa-
valan, Sahend, Démavend, e t c . ) sont
sortis de terre. Dans les derniers temps de
cette époque géologique ( Plaisancien),
l'Azerbaïdjan et les pays voisins, non
encore soulevés, jouissaient d'un climat
analogue à celui des zones tropicales ac–
tuelles, nourrissaient l'éléphant, le rhino–
céros et tous les animaux des terres chaudes
et humides (Faune fossile de Maragha).
C'est à la fin de la période pliocène que
les reliefs s'établirent et, durant l'époque
quaternaire, l'Iran, l'Arménie et le Cau–
case se couvrirent de neiges. Quant à
l'activité des volcans, elle se poursuivit
longtemps encore après leurs premières
éruptions et dura peut-être jusqu'aux
temps où l'homme vint peupler ces pays
abandonnés par les neiges (Cf.
J .
DE
M
ORGAN,
Les Premières
Civilisations,
p.
57
sq.,
91
sq.,
164
sq.).
CHAP.
1
Fonds A.R.A.M