MOÏSE DE KHORÈNE .
L I V R E PREMIER .
GÉNÉALOGIE
DE
LA
GRANDE-ARMÉNIE
(
i).
CHAPITRE I
E R
.
Moïse de Khorène, — au commencement de notre
discours, — à Sahag Bagratide, salut!
(
a).
L'éternelle protection de la grâce divine [qui
s'étend] sur toi, l'influence continuelle de l'Esprit-
Saint [qui rejaillit] sur ton intelligence, me sont
révélées par ta noble demande; ainsi donc, j'ai
connu d'abord ton esprit avant de connaître ta
personne. Cette demande est si conforme à mes
goûts et à mes études, qu'à cause de cela il me
convient, non-seulement de te louer, mais encore
de prier pour que tu restes toujours le même.
Car, si par la raison, ainsi qu'il est écrit, nous
sommes l'image de Dieu, si d'ailleurs le bon sens
et la prudence sont la prérogative de l'homme
doué de raison, et si ton esprit n'eût été dirigé
vers ces résultats, toi, enméditant profondément,
et en conservant l'éclat de cette étincelle, tu ornes
ta raison, et tu marches pour atteindre cette
image, —- tu réjouis, on peut le dire, ton modèle,
le prototype de la raison, par ton noble empres–
sement [ à satisfaire] de tels désirs, sans dépasser
le but.
En outre, je vois que si ceux qui, avant nous
ou de nos jours, ont été les maîtres et les princes
du pays d'Arménie (3), n'ont pas ordonné aux
savants qui se trouvaient près d'eux de composer
notre histoire, s'ils n'ont pas voulu appeler du
dehors des gens instruits ; nous qui découvrons
actuellement en toi ce mérite, il est évident qu'il
faut déclarer que tu es bien supérieur à tes pré–
décesseurs, que tu as droit aux plus grands éloges,
et que tu es digne d'être célébré dans cet ouvrage.
Aussi, en accueillant avec plaisir ta demande,
je suis désireux de la satisfaire, en vue d'immor–
taliser et ta mémoire et celle de tes descendants ;
car ta race est fort ancienne et très-renommée;
(1)
Le texte porte «
des grands Arméniens ».
( 2 )
Cette rubrique présente quelque difficulté, et le
sens en est assez obscur ; on pourrait aussi traduire :
«
Moïse de Khorène parle de l'origine de notre [na–
tion] en ces termes, à Sahag Bagratide, et le saine. »
(3)
L'adjectif
harousd
que nous avons traduit par
«
maître » avec le sens de « roi ou dynaste » signifie à
proprement 'parler « fort, riche, opulent ». Le mot
ischkhan
qui veut dire prince, s'entend ici des satrapes
qui étaient souverains dans leurs domaines et ne rele–
vaient que du pouvoir royal. —Cf. Indjidji,
Antig. de
l'Arm.
(
en arm.), t. II, p. 78, 79.
elle est féconde, non-seulement en conseils pru–
dents et efficaces, mais encore en actions nom–
breuses et glorieuses, et bien dignes d'être van*,
tées
(1).
Ces faits, nous les consignerons par ordre
dans cette histoire, lorsque nous décrirons en
détail les races et que nous établirons les généa–
logies de père en fils. E n ce qui concerne la
question des satrapies de l'Arménie, nous trai–
terons brièvement de leur origine et de leur exis–
tence, ainsi que cela est fidèlement constaté
âr.ns
quelques histoires grecques.
CHAPITRE
I I .
Pourquoi avons-nous tiré [les renseignements re–
latifs
à ]
nos affaires, des [livres] grecs, tandis
qu'ils sont plus étendus
(2)
dans [ceux] des
Chaldéens et des Assyriens?
Qu'on ne s'étonne point, lorsqu'il y a des écri–
vains de plusieurs nations, notamment des Perses
et des Chaldéens, dans les ouvrages desquels il se
trouve assez fréquemment des faits relatifs à notre
patrie, que nous n'avons cité seulement que les
historiens grecs, en promettant d'en extraire [le
tableau de] notre généalogie. C'est qu'en effet,
les rois grecs, après avoir réglé leurs affaires in–
térieures,, s'efforcèrent avec tout le zèle possible
de transmettre aux Grecs non-seulement ce qui
concernait leurs conquêtes, mais encore les fruits
des travaux de l'esprit ; comme fit ce Ptolémée
Philadelphe qui voulut qu'on traduisit en grec les
livres et les histoires de toutes les nations (3).
Mais qu'on ne vienne pas nous taxer d'igno–
rance et nous, traiter comme des gens de peu de
sens et de savoir, parce que, de Ptolémée roi des
Égyptiens, nous avons mit un roi des Grecs, car
ce prince, après avoir réduit les Grecs sous son
autorité, fut nommé roi d'Alexandrie et des
Grecs, titre qu'aucun autre Ptolémée, ni qu'aucun
(1)
Cf. sur la famille des Bagratides qui s'établit en
Arménie sous le règne de Valarsace, le premier des
Arsacides arméniens, et qui plus tard donna des rois à ce
pays et à la Géorgie, les savantes recherches
du P. Indjidji
(
Antiq. de VArm.,
t. I , p. 313, et
surtout, t. I I , p. 96 et suiv.), qui a rassemblé tous les
documents tirés des historiens arméniens, et qui ont
trait à cette famille illustre, à son histoire, à ses do–
maines, etc. —Cf. aussi Collection des hist. arm., 1.1,
p. 33, note
2,
col.
2.
(2)
Trois manusc: « plus ornées. »
(3)
Cf. Aristée,
Hist. de la version des Septante,
dans
la Biblioth. des Pères (Oxford, 1662.
—
Saint Êpiphane,
Traité dès poids et mesures
(
éd. Petau, Paris, 1622 ),
t. II, § 12, p. 168 et suiv. —Collect. des hist. de l'Ar–
ménie, t. I, p. 405 et suiv.
Fonds A.R.A.M