INTRODUCT ION
Bardesane, fondateur de la seconde école
gnostique de la Syrie, est l ' un des hommes les plus
célèbres dans les fastes chrétiens des premiers siè–
cles de notre ère. Sa vie offre l ' un des phéno–
mènes les plus bizarres, au mi l i eu de toutes les
singularités que présente l'histoire du gnosticisme.
Adversaire acharné des gnostiques au début de
sa carrière, i l professa plus t a r d l a
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<; q u ' i l
avait combattue avec ardeur, devint ensuite le
chef d ' un p a r t i considérable sans avoir cherché
de schisme, et son nom , ainsi que ses composi–
tions religieuses, étaient encore vénérés des or–
thodoxes , que déjà i l était exclu lui-même de
leurs communautés ( i ) .
Bardesane naquit en Syrie, vraisemblablement
à Édesse
(2).
I l tirait son nom d'un petit fleuve
le
Daïzan
(3)
,
que les Grecs ont traduit par 2x i p -
TOÇ
(
le Sauteur) (4). Bardesane est souvent dési–
gné par les surnoms de Parthe et de Syrien
(5),
de Mésopotamien
(6.)
,
de Babylonien
(7),
que l –
quefois même d'Arménien (8), et cette circons–
tance a fait supposer à t o r t q u ' i l avait existé en
Orient, à des époques différentes, plusieurs per–
sonnages du
même nom.
Les anciens historiens
ecclésiastiques n'ont pas peu contribué à entrete-
air cette erreur, car eux-mêmes ne sont pas d'ac-
(1)
J.Matter,
Histoire critique du Gnosticisme,
t . I ,
sect. I I , ch.
2,
§ 3.
(2)
La Chronique d'Édesse (ap.
Assemani, Bibl. or.,
t. I , p. 389 ) fixe au 11 juillet 154 de notre ère la nais–
sance de Bardesane.
(3)
Aboulpharadj,
Hist. dynast.,\).
79. «
Bardesanes
quidem Eber Disan appellatus, quod natus esset jnxta
fluvium Disan, supra urbem Roham,
id est
Edessam. »
St. Ephrem dans une de ses hymnes avait avancé
la même chose : « Quis ille primus Bardesani a Daisan
imposuit nomen? » — Strunzius
(
Hist. Bardesani,
p. 27 ) donne une étymologie différente, mais qui n'est
pas acceptable.
(4)
Assemani,
Bibl. orient*, 1.
1,
p. 119, 412, note.
(5)
Jules Africain, Keoroi, c. 29, p. 300, et suiv.
(6)
Eusèbe,
Hist. Eccl.,
IV, 30.
Épiphane,
Hxr.,
LVI, f i
(7)
Saint Jérôme,
advers. Celsum,
lih. I I .
(8)
L'auteur des
Philosophumena
est le seul qui
donne à Bardesane le surnom d'Arménien ; liv. V I I , in,
31 (
Ed. Patr. Cruice).
co rd sur l'époque exacte où vécut Bardesane.
Selon les uns
( 1 ) ,
Bardesane aurait fleuri sous
l'empereur Marc-Aurèle, et c'est à l u i ou à son
collègue Lucius Verus, qu'ils prétendent que cet
écrivain aurait adresséson fameux « Traité du
Destin » . D'autres
( 2 )
le font vivre plus t a r d , et
semblent dire que ce f u i à l'époque des empe–
reurs syriens, que Bardesane acquit sa célébrité.
Les critiques modernes, et notamment l'école
française
(3),
ont adopté l'opinion d'Eusèbe et des
Pères de l'Eglise qu i fixe aux règnes de Ma r c -
Aurèle et de Lucius Verus l'époque florissante
de Bardesane. Mais les travaux entrepris dans ces
derniers temps sur ce célèbre.jgnostique, et p r i n –
cipalement ceux de l'école allemande, représen–
tée par MM . Lipsius, Merx et Hilgenfeld
(4),
ont prouvé que Bardesane florissait, non pas à
l'époque de Marc-Aurèle et de Lucius Verus,
mais bien au temps des empereurs syriens
(5),
et que c'est à Elagabal lui-même qu ' i l est fait
allusion dans le « Traité du Destin » , comme
nous le montrerons t ou t à l'heure. Bardesane
v i va i t dans la seconde moitié du deuxième siècle
(1)
Eusèbe,
Hist. Eccles.,
liv. IV, ch. 30. —
Chronic.
(
ed. Aucher.)
ad awn.
173.
S . Jérôme,
in Catai.,
c.
33,
ed. Fabric,
p. 103.
(2)
Porphyre,
De abstinent.,
liv., IV, § 17 ;et
de Styge
(
éd.
Luc. Holsten.),
p. 282. —
Chron. Edess.
(
syr.
et lat. ) apud
Assemani, Bibl. orient.,
1.1,
p. 389. —
Moïse de Khorêne,
Hist. oVArmén.,
liv. I I , ch. 66. —
Aboulpharadj,
Hist. dynast.,
p. 79.
(3)
Galland,
Biblioth. vet' pair.,
t. I ,
Prolegom.,
p. cxxu. — Beausobre,
Histoire de Manichée et du
Manichéisme,
t . I I , ch. 9, p. 129 et suiv. — Matter,
Hist. du Gnosticisme,
1.1,
sect. 2, ch. 2.
Cf. aussi
Hahn,
Bardesanes gnosticus, Syrorum primus hym-
nologus,
p. I et suiv. — Cureton,
Spicileg. syriacum,
Préface,
p. 1.
(4)
Lipsius,
Der Gnosticismus, sein Wesen, Ur-
sprung undEntwickelungsgang
(
Leipsik, 1860).— Merx,
Bardesanes von Edessa, nébst einer Untersuchung
liber das Verhâltniss der Clem. Recognit
(
Halle,
1863). —
Hilgenfeld,
Bardesanes derletzte Gnostiker
(
Leipsik, 1864 ).
(5)
L'auteur des
Philosophumena (
liv. V I , u, 35 )
donnerait à entendre que Bardesane fut contemporain de
Teitullien et i l le représente comme le chef de la bran–
che orientale de l'école valentinienne.
Fonds A.R.A.M