BARDES ANE .
1
F R A G M E N T S
D ' U N E
H I S T O I R E D E L ' A R M É N I E .
s
[
MOÏSE DE KHORENE, HISTOIRE D'ARMÉNIE,
LIVRE I I , CH. 6 1 - 6 6 . ]
(
Traduction faite sur le texte arménien.)
I . (Liv. I l , CH. LXI.)
Règne d'Ardavazt; il chasse ses frères et ses
sœurs; sa mort avec les circonstances fabuleuses.
Après Ardaschès, sonfilsArdavazt régna (i)« I l
chassa de l'Ararat tons ses frères et les relégua
dans les cantons d'Aghiovid et d'Arpéran, pour
qu'ils n'habitassent pas en Ararat, dans les domai–
nes du roi. I l garde seulement auprès de lui Di -
ran, son successeur désigné, car il n'avait pas de
fils. Après quelques jours de règne (2), en passant
sur le pont de la ville d'Ardaschad (3) pour aller
à la chasse des sangliers et des onagres, près des
sources de Kin(4), Ardavazt, saisi d'un vertige
subit, et errant çà et là à cheval, tombe dans un
gouffre profond et disparaît. Les chantres du
Koghten improvisèrent des fables sur cet événe–
ment. A la mort d'Ardaschès, il y eut beaucoup
de sang versé, selon l'usage des païens. Ardavazt,
disent les chantres, parla ainsi avec amertume à
son père :
«
Tandis que tu es parti, emportant avec toi tout le
pays,]
«
Gomment régnerai-je, moi, sur ces ruines? »
A cause de cela, Ardaschès maudit Ardavazt et lui
répliqua en ces termes : . *'
(1)
Ardavazt IV monta sur le trône en l'année 120 après
notre ère; il était fils d'Ardaschès III (Exaradès ou
Axidarès des Grecs ) fils de Sanadroug.
(2)
Tchamitch
(
Histoire d'Arménie
,
en arm., 1.1,
p. 352-353, et t. III, p. 406 ) donne à Ardavazt deux ans
de règne, ce qui prouverait que le mot jours,
avourtz,
ne doit être pris ici qu'au figuré, et qu'il veut dire
dans ce passage, un temps indéterminé.
(3)
Artaxata,
dans le territoire de Tovin au con–
fluent de l'Araxe et du Medzamor. ( Cf. plus haut, p. 39,
col. 2, note 7.)
(4)
Petite rivière de la province d'Ararat, appelée
aussi Medzamor par l'historien Vartan
(
Hist. icniv.,
p. 35, éd. de Venise). — Cf. Indjidji,
Gèogr. anc.
p. 467.
«
Si tu vas à cheval chasser sur le libre Massis,
«
Les Kadch (1) te saisiront, te conduiront sur le libre
Massis,]
«
Tu resteras là et tu ne verras plus la lumière. »
Les vieilles
femmes
racontent également d'Ar–
davazt qu'il est emprisonné dans une caverne,
chargé de chaînes de fer; deux chiens rongent
continuellement ses chaînes, et il s'efforce de
s'échapper pour venir porter la dévastation dans
le monde. Mais au bruit des coups de marteau des
forgerons, ses fers acquièrent, dit-on, une nou–
velle force. C'est pourquoi, même de nos jours,
beaucoup de forgerons, s'en rapportant à la fable,
frappent l'enclume trois ou quatre fois le premier
jour de la semaine (2), pour consolider, disent'
ils, les chaînes d'Ardavazt (3), Toutefois la vé–
rité est ce que nous avons rapporté plus haut.
On dit encore qu'à la naissance d'Ardavazt, ce
fait se produisit, que les femmes des descendants
d'Astyage (Achtahag) passèrent pour lui avoir jeté
un sort, ce qui fit qu'Ardaschès les tourmenta de
mille façons. Voici ce que disent les chants de la
fable : « Les descendants du Dragon enlevèrent le
jeune Ardavazt, et mirent un
Dev
à sa place. »
Mais la vérité est, selon moi, que la folie s'empara
d'Ardavazt depuis sa naissance jusqu'à sa mort.
Ensuite Diran son frère s'empara de la royauté.
(1)
Le mot
Kadch,
qui a en arménien le sens de
brave
et de
vaillant
,
s'applique ici à une classe d'esprits su–
périeurs qui jouaient ,un rôle important dans la my–
thologie arménienne. Selon M. Émin, les
Kadch
étaient
des esprits bienfaisants, en opposition avec les
Dev
,
ou
esprits malins.
(
Recherches sur le paganisme armé–
nien,
p. 39-40.)
(2)
Le dimanche.
(3)
La légende d'Ardavazt passa en Géorgie où elle
subsiste encore dans la tradition populaire, et elle a été
rapportée par M. Émin dans sa
Dissertation sur les
chants populaires
(
en arm., p. 41-42). Seulement, en
passant dans ce pays, elle a pris une couleur chrétienne,
sans cependant perdre le sens de la légende primitive.
M. Hissarian ( dans le journal arménien de Constantino-
ple, le
Panaser,
mai 1851, p. 239-244) a publié sous
le titre de « Chant du Koghten » le récit de la légende
d'Ardavazt; mais l'authenticité de cette pièce est très-
douteuse. (Cf.
YEuropc
de Vienne, journal arménien des
Mékhitaristes, 1851, n° 34.)
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