Pour les Turcs, la ville du pétrole présentait une im–
portance capitale. La possession de ce centre musulman leur
donnait la possibilité de réaliser leur vaste et ancien projet : la
création d'une grande union des peuples musulmans sous leur
domination.
Pour les Russes, Bakou n'était pas seulement une tête de
pont à conserver à tout prix pour la reconquête de la
Transcaucasie, mais la source la plus importante de leur
approvisionnement en pétrole. Pendant les quatre premiers
mois de l'année 1918, ils reçurent 1,3 millions de tonnes.
Lénine, préoccupé par le mouvement contre-révolutionnaire
qui se développait en Russie avec l'appui de l'Entente,
songeait surtout à conserver le pouvoir. N'ayant pas, dans un
moment aussi critique, les moyens d'aider efficacement le
soviet de Bakou, i l entrevoyait avec appréhension, du fait de
l'avance germano-turque dans le Caucase, un autre danger : la
création d'un nouveau front en Transcaucasie. Cette crainte
fut exprimée dans les
Izvestia
du 21 mai : « Celui qui possède
le Caucase possédera d'immenses richesses et sera maître des
voies menant vers l'Inde et le Golfe Persique. Les deux groupes
impérialistes, l'Entente et les Germano-Turcs, nous sont
hostiles. L'invasion germano-turque et l'occupation du Cau–
case peuvent entraîner la chute du pouvoir des Soviets et
assurer le triomphe de la réaction noire (10). »
Les bolcheviks, qui n'ont pas reconnu le traité de Batoum,
tentent d'arrêter l'avance turque par la voie diplomatique, en
se référant aux conditions du traité de Brest qui ne prévoyait
pas l'occupation de Bakou, mais les Allemands, qui ont leurs
propres visées sur cette ville, ne disposant pas de forces
suffisantes et privées des renforts qu'ils attendaient des
Balkans à la suite de la défection de la Bulgarie, sont
incapables de faire pression sur leur allié turc.
Ne pouvant trop compter sur l'aide de Moscou, le Soviet de
Bakou mobilise ses forces pour riposter à l'avance turco-azérie.
Le 6 juin, le commissaire à la Défense adresse une procla–
mation aux « Soldats de l'Armée rouge du Caucase » :
«
Camarades soldats, le sort de la révolution des ouvriers et
paysans de la Transcaucasie est entre vos mains. (...) Vos
(10)
Lalebekian,
(134),
p. 15.
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Fonds A.R.A.M