38
nel. Les évêques grégorien et catholique qu i , en ce moment, conféraient à l'église
grégorienne, située presqu'en face de ma maison, se sont réfugiés chez mo i , et l'église
n'a pas tardé à être remplie.
La fusillade qui avait commencé assez forte, s'est accentuée et est devenue
intense. J'ai envoyé un cavas protéger la famille de M. Habib Siufi, mon drogman,
dont la maison est en plein bazar. I l a passé au milieu d'une grêle de balles.
A mi d i et demi, un homme a été massacré à l'entrée de ma rue et quelques
groupes de musulmans en armes se sont présentés, dans l'intention, j e suppose, de se
diriger vers l'église.
Je leur ai crié de se retirer, et comme ils voulaient passer quand même et n'obtempé–
raient pas à l'ordre, j'ai balayé la rue avec quelques coups de carabine Colt, qui les
ont mis en fuite. D*eux autres tentatives du même genre ont été faites aux deux extré–
mités de la rue et repoussées de la même façon. J'ai lieu de croire que nous avons
ainsi préservé l'église. Là s'est bornée la défense active du Consulat.
J'étais très inquiet du sort des Jésuites et des Sœurs de Saint-Joseph, ces dernières
habitant un quartier exclusivement musulman. J'envoyai au Konalc mon petit Sais,
musulman, qui y parvint avec difficulté, mais ne me rapporta que des renseigne–
ments fort vagues. Mon cavas, Panayoti Calligero, sujet hellène, homme dévoué et
depuis longtemps à mon service, me proposa d'aller au Konak. Outre le danger,
c'était, en cas d'attaque, un auxiliaire précieux, dont le courage et la force m'étaient
connus, que je perdais; mais i l n'y avait pas à hésiter, i l fallait pourvoir à la sécurité
de nos missions.
A ce moment, on massacrait en plein dans la grand'rue du Bazar et la place du
Conak; le pillage commençait; les coups de revolver partaient de tous côtés. Panayoti
se fit passage à travers la foule, parvint auprès du général de division qu i , immédia–
tement, expédia des pelotons de soldats chez nos missionnaires.
Vers 3 heures, i l me fut envoyé un commissaire de police et 2 5 soldats (rédifs)
qui avaient grand crainte qu'on ne tirât sur eux des fenêtres et disaient bien haut
qu'ils perdaient leur temps pendant que leurs camarades s'enrichissaient. Tristes
défenseurs qu'il fallait surveiller ; j ' a i eu toutes les peines du monde à placer mes
gardes qui ne voulaient pas aller à plus de i o mètres de ma porte.
Je réussis cependant à envoyer cinq hommes chercher mon deuxième cavas et la
famille de M. Siufi.
Le massacre avait diminué, mais le pillage était au comble. Tout individu porteur
d'armes, voire même d'un bâton, passant devant ma porte, était désarmé par mes deux
cavas, peu aidés par les soldats qui maugréaient; les pilleurs étaient soulagés de leurs
charges. J'ai, du reste, présidé à presque toutes ces petites exécutions. Mais, comme
la première fois pour les massacreurs, le mot d'ordre fut vite donné, et i l ne passa
plus que de rares individus.
Dans la soirée, j'envoyai Panayoti et un peloton prendre des nouvelles des Pères et
des Sœurs.
Le Vali, vers 7 heures, me fit dire qu'il répondait de l'ordre, et, sous la surveillance
d'officiers et de la troupe, l'église fut évacuée, et les Arméniens réfugiés reconduits
chez eux sous escorte; de même, les deux évêques réfugiés chez mo i , chez lesquels
furent laissés des gardes.
1
Fonds A.R.A.M