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terposer pour mettre l i n à ce carnage. Jusqu'alors nous avions pu croire que la force
armée essayait de réprimer le soulèvement et nous pouvions espérer qu'elle en vien–
drait à bout; mais, à ce moment-là, i l n'y eut plus de doute. L'épouvante fut alors
si vive parmi les réfugiés, que j'adressai à Votre Excellence cet appel qui nous a tous
sauvés.
Cependant, après quelques instants, nous avons, vu tous ces individus descendre
des terrasses et s'éloigner; la nuit était presque venue , les pillards s'étaient retirés, le
bruit de la fusillade cessait peu à peu, et l'on s'est remis à espérer. Vers les neuf
heures du soir, on vint me dire que, sur l'ordre du Gouverneur, quelques notables
musulmans et un chrétien s'occupaient de rétablir la tranquillité ; deux heures après,
des crieurs passaient dans la rue annonçant que le Gouverneur défendait de tirer et
que quiconque serait pris les armes à la main serait puni sévèrement. La nuit était
généralement plus calme que la journée; les coups de fusil ne reprenaient qu'au
lever du jour, et l'on s'explique facilement l'anxiété avec laquelle cette heure était
attendue. Le lundi matin, le feu ne recommença pas. Vers les huit heures, Abas-
Hodja, qui ne sort jamais de chez l u i , venait au Consulat me faire une visite; i l était
suivi, bientôt après, des principaux musulmans du quartier, qui tous m'assurèrent
que c'était fini et qu'il fallait maintenant travailler au rétablissement de la paix. Que
s'était-il passé de si important pour calmer ces forcenés au paroxysme de la fureur et
mettre presque subitement fin à ce carnage, au moment où i l avait atteint son plus
haut degré? Je suppose que «la tête d'Aniz Pacha» n'est pas étrangère à ce revi–
rement, inattendu et que ce triste personnage tenant à sa vie aussi bien que le
dernier des chrétiens n'a pas osé la mettre enj eu pour assouvir son fanatisme et celui
de ses coreligionnaires. Quoi qu'il en soit, le massacre était fini à Diarbékir. Mal–
heureusement, i l n'en était pas de même dans les villages où i l n'y avait pas de Con–
sul de France en péril. Là, i l a duré encore plus de quinze jours, et tout a été
détruit.
Je dois à ma conscience de déclarer fermement que les massacres, à Diarbékir,
ont été faits sans provocation par les musulmans de la ville; que le Gouverneur
général, le Commandant militaire, le Chef de la gendarmerie sont restés impassibles
devant ces scènes d'horreur et qu'ils n'ont absolument rien fait pour les arrêter;
que, s'ils n'y ont pas participé directement, leur attitude était de nature à les encou–
rager; que j ' a i vu de mes propres yeux les soldats et les zaptiés se joindre aux
musulmans et aux kurdes pour tirer sur les chrétiens; que ceux-ci enfin n'ont fait
usage de leurs armes que pour se défendre lorsqu'ils y étaient absolument forcés.
La police et la troupe ne sont intervenues que pour frapper sur les victimes.
Bien que j'aie fait connaître à Votre Excellence, par le télégraphe, les chiffres des
pertes et que je n'aie rien à y changer, je crois devoir les rapporter ici :
ARMENIENS GREGORIENS.
Morts
'.
1,000
Blessés
2
Ôo
Maisons pillées
1,000
Boutiques pillées et brûlées
2 , 000
Fonds A.R.A.M