GRIGOR
NAREKATSI
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LE LIVRE DES LAMENTATIONS
(
Fragments)
Si je vois un soldat,
Je m'attends à la mort ;
Si c'est un messager, à remontrances ;
Si c'est un notaire, à l'échéance d'une dette ;
Si c'est un ecclésiastique, à malédiction ;
Si c'est un évangélisateur, à ce qu'il secoue de ses pieds la
poussière ;
Si c'est un prêtre, à blâme ;
Si c'est un insolent, à vexation ;
Si je subis l'épreuve de l'eau, j'en suis anéanti ;
Si je subis l'épreuve du poison, je meurs ;
Si je vois dispensé le bien à profusion, mes sales pensées me
font enfuir ;
Si je vois une main qui se lève, je me courbe ;
Si j'aperçois le moindre épouvantail, je tressaille ;
Si je perçois le moindre craquement, je sursaute ;
Si l'on m'invite à un banquet, je tremble ;
Si je me trouve face à Ta Grandeur, je frémis d'effroi ;
Si la justice m'interroge, j'en suis muetisé.
Or, ainsi les uns aux autres s'accumulent
Mes doutes pitoyables, et qui m'accablent,
Et leurs traits me meurtrissent au plus profond de moi
D'incurables blessures.
Immuablement cloués ils s'enfoncent dans mon âme,
Indéracinables, fichés, rivés pour toujours,
Emplis de pus dont l'action double est lancinante.
Us me sont un présage à fatal anéantissement.
Les dépôts purulents gantent le fer de mes pensées secrètes —
j'en ai angoisse —
Livrent mes plaies béantes à mes halètements.
Au grondement de ma voix, étouffé que je suis par ces tourments
extrêmes,
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Fonds A.R.A.M