Sa Sainteté le Catholicos des Arméniens de Cilicie, que j'avais eu le
bonheur de rencontrer à Paris, à l'hôtel des Deux-Mondes, partageait
absolument ma manière de voir et il me disait : « Pendant cinq siècles,
nous avons vécu sous la tyrannie des Turcs; ces imbéciles n'ont pas
compris que le peuple arménien pourrait vivre pendant cinquante ans
sous la protection du drapeau français avant d'atteindre sa majorité et
d'aspirer à une indépendance complète. »
L'avis du héros national arménien n'était pas différent. Pendant son
séjour à Marseille, il me disait que sans l'appui de la France i l lui
était impossible de se maintenir en Cilicie, même appuyé sur une armée
nationale arménienne de 50.000 hommes. Plus tard, quand je l'ai ren–
contré à Paris, à l'hôtel Métropole, rue François-I
er
,
le général Antra–
nik, qui n'avait pas l'habitude, dans sa franchise militaire, de mâcher
les mots, donnait son avis sur la Délégation dans ces termes : « I I
restait un peu d'intelligence à la Délégation arménienne; le peu qui
restait, MM. Tchobanian et Vahan Tékéian l'ont partagé de compte à
demi, eux-mêmes n'ayant pas un brin d'intelligence. »
Il nous était impossible, au milieu des passions et des ambitions, de
faire entendre notre voix au peuple arménien. Aujourd'hui, nous
appuyant sur des faits historiques, nous nous présentons devant lui et
disons : « Peuple, vous n'avez pas voulu entendre la voix de la raison
et de la logique; nous ne craignons plus votre verdict. Si nous avons
tort, que vos meneurs donnent un démenti formel à nos affirmations,
qu'ils apportent des arguments et des preuves pour se justifier devant
le tribunal du peuple arménien. Nous les attendons avec la conscience
tranquille et les mains propres de toute souillure.
Avant de terminer ce chapitre de notre livre, nous nous faisons un
agréable devoir de rendre un éclatant hommage au général Brémond,
ancien gouverneur de Cilicie. Nous avons suivi pendant les événements
les faits et gestes de ce valeureux soldat et administrateur émérite.
S'il n'avait dépendu que du général Brémond, aujourd'hui le drapeau
français flotterait sur l'étendue des territoires de Cilicie et les Armé–
niens vivraient heureux dans leur patrie, grâce à la présence de la
France, au lieu d'errer à travers le monde pour trouver un abri et du
travail pour vivre.
Malgré tout, Arméniens, haut les cœurs ! Ne désespérons pas de
l'avenir qui peut nous réserver d'agréables surprises. Les plaines et
les montagnes de Cilicie sont arrosées avec le sang des soldats français
et arméniens; ce sang sacré fera, tôt ou tard, germer la plante char–
gée des fruits de tant d'héroïsme pour le grand bien de la France et
de l'Arménie fraternellement unies.
Fonds A.R.A.M