français, niais, pour cette politique hardie, i l nous fallait des hommes
et non des fantoches.
Notre diplomatie, après l'armistice, ne pouvant plus endormir la
conscience du peuple arménien, effrayée de sa responsabilité, court
derrière l'ombre d'un mandat américain. D'une façon ou d'une autre,
les soldats français et arméniens ont versé leur sang pour la conquête
d'un territoire; une fois la tâche accomplie, au prix de tant de sacrifi–
ces, une fois notre rêve de cinq siècles réalisé, comment la Délégation
a-t-elle eu la démence de dire à nos alliés français : « Messieurs, sor–
tez d'ici; ce territoire nous appartient. Si nous avons besoin d'un pro–
tecteur, nous nous adresserons à M. le président Wilson, et nous offri–
rons à ses compatriotes un délicieux « kebab » que nous a rappor té
l'héroïsme des soldats français et arméniens, et que nos amis améri–
cains seraient ravis de recevoir sans bourse délier et sans avoir versé
une goutte de sang américain pour mériter une pareille aubaine. »
Cette mentalité démontre clairement le désarroi dans lequel se trouvait
la Délégation arménienne au lendemain de l'armistice. A partir de ce
moment, la partie était définitivement perdue pour nous et M. Briand,
allégé du fardeau d'un remords, pouvait, sans crainte de l'opinion
publique de son pays, tendre librement la main à Mustapha Kemal en
vue d'une entente franco-turque que l'incapacité de notre Délégation
avait rendue possible.
La persistance de la Délégation dans son désir d'un mandat amér i –
cain laissait supposer une entente précédemment conclue avec le gou–
vernement de Washington; en réalité, aucune entente n'existait. Cette
idée était sortie du cerveau de deux ou trois sénateurs américains pour
obéir à une manœuvre politique et impressionner les alliés en vue
d'une pression qui, au fond, n'avait aucun rapport avec le mandat
américain en Arménie. D'ailleurs, d'après la loi Monroë, la tradition
américaine interdisait aux dirigeants de Washington de s'immiscer en
quoi que ce fût dans les affaires du continent; ensuite, la présence de
l'Amérique en Arménie, compromettant sérieusement le prestige et les
intérêts des grandes puissances de l'Europe, ces dernières auraient fait
l'impossible pour empêcher qu'une pareille éventualité se produisît.
Notre Délégation, en faisant surgir cette épineuse question, au milieu
des appétits déchaînés, nous exposait à l'hostilité collective des gran–
des puissances ; -c'est pour cette raison que les alliés, tout en parais–
sant donner satisfaction aux revendications arméniennes, ont employé
tous les moyens diplomatiques en leur possession afin de noyer la
question arménienne dans le lac Léman, à l'occasion de la signature
du traité de Lausanne.
On nous avait dit que M. le président Wilson était le plus ardent
partisan du mandat; si nous jugeons les faits d ' après l'attitude de
M . Wilson vis-à-vis de la Délégation arménienne, pendant son séjour
Fonds A.R.A.M