monde comprendra que les Arméniens, sous le deuil qui les accable,
gardent le silence.
«
C'est l'Allemagne d'abord que nous rendons responsable de ces-
forfaits. C'est l'Allemagne qui, signataire du traité de Berlin, a violé
ses engagements en laissant un sultan sanguinaire torturer les Armé–
niens, comme c'est l'Allemagne qui, garante de la neutralité belge, a
ravagé la Belgique. Cependant qu'à La Haye, elle combattait les
extensions de l'arbitrage proposées par nos plénipotentiaires, s'ingé-
niant à réserver les chances de guerre au moment même où nous nous;
efforcions de les réduire, en Orient elle ouvrait toutes les violences qui
pouvaient assouvir ses convoitises.
«
Patience ! la France, que l'héroïsme sublime de ses enfants a
replacée à son rang, la France peut dire à l'Allemagne : « Tu jettes;
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la fleur de ta jeunesse et ton idéal d'autrefois en d'inutiles carnages;
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tu t'es trompée ! Tu as jugé la France sur une écume cosmopolite
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qui, à la surface de Paris, la cachait à tes yeux. La France, à qui tu
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prodiguais tes mépris, est apparue sur la Marne, au Grand-Cou-
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ronné, sur l'Yser, à Verdun, plus vaillante, plus grande que jamais.
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Tu essayais de faire croire, et il se trouvait des ignorants et des;
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naïfs pour écouter tes fausses leçons, que l'Allemagne était jeune
«
et que la France était vieille, comme si le Brandebourg ou la Prusse
«
étaient toute l'Allemagne, comme si Charles-Quint était plus jeune
«
que Henri IV, Othon que Philippe-Auguste et Attila que Clovis. »
«
Toute cette science menteuse, nos soldats l'ont percée à jour, en
montrant avec'leurs visages intrépides la vraie figure de la France.
«
Les feux de l'aurore éclairent l'Arménie quand nous sommes en–
core dans la nuit. Aujourd'hui, c'est le rayon de la France qui va
réchauffer sa tristesse. De notre antique Sorbonne, de la Montagne-
Sainte, acropole des lettres et des sciences, d'où la pensée française,
depuis cinq siècles, verse au monde la lumière, la France, tenant
embrassée tous ses fils, répond par un cri d'amour à ton gémissement,
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glorieuse Arménie, qui toi-même, jusque dans l'ombre de la servi–
tude, gardais le secret des lettres, des arts et de la liberté de la
conscience.
«
Et le jour où, après avoir vu les aigles vengeresses de la Russie, à
Erzeroum, témoin de tant d'horreurs, tu apercevras nos couleurs sur la
cathédrale de Strasbourg et sur la cathédrale de Metz, une aube nou–
velle illuminera la fierté de tes morts; tu jetteras enfin ta croix, et Ut
marcheras, toi aussi, dans la Justice ! ».
DISCOURS DE M. PAUL PAINLEVE
M. Painlevé, ministre de l'Instruction Publique, se lève à son tour
et, dans la plus saisissante des évocations, étale aux yeux de tous le
martyre inoubliable de l'Arménie.
Fonds A.R.A.M