la nation avant de prendre une décision qui pourrait soulever l'indigna–
tion du peuple devant une action qu'il considérerait comme injuste et
inhumaine. En France, soyez droit et juste, vous aurez avec vous
l'approbation de l'opinion publique.
Le Français n'aime pas que l'étranger prenne une part active dans
ses dissensions politiques; pour ma part, je me suis toujours conformé
à
cette élémentaire règle de convenance. A l'époque où la question
Dreyfus agitait toute la France, j'assistais indistinctement à toutes les
conférences organisées par des partis adverses ; c'est ainsi que j ' a i
eu la chance d'écouter Jean Jaurès, Jules Lemaître, Ribot, Léon Dau–
det, Marcel Habert, Sébastien Faure, etc. Je n'ai jamais pris une
part active à ce grand mouvement d'opinion; mon rôle consistait à
écouter les arguments différents; mon éducation n'était pas suffisante
pour mè forger un jugement; d'ailleurs, ma qualité d'hôte de ce noble
pays m'interdisait de froisser les susceptibilités des personnes qui pro–
fessaient des principes diamétralement opposés. J'ai toujours conservé
cette correction vis-à-vis de mes amis français, c'est de cette façon
que j ' a i pu gagner des amitiés solides à notre cause, dans tous les
milieux avec lesquels j ' a i été en contact. D'ailleurs, c'est la seule atti–
tude qui convienne à tous les Arméniens qui ont la chance d'habiter la
France; il ne faut jamais perdre de vue que nous sommes des hôtes,
la plus élémentaire délicatesse nous impose le devoir de ne jamais
nous immiscer dans les affaires intérieures des Français. Ce sont des
choses qui se traitent entre Français; les étrangers n'ont pas le droit
/
de fourrer leur nez dans ces sortes d'affaires de famille et, à leur place,
notre patriotisme ne supporterait pas une intervention étrangère, dans
une question que nous considérerions comme purement arménienne.
Je fréquentais aussi bien les milieux socialistes que les milieux
patriotes; souvent, je me suis faufilé parmi les ouvriers, à la Bourse du
Travail, pour me mettre au courant des revendications ouvrières; à
mon avis, c'était un moyen de me rendre compte de la mentalité des
ouvriers et d'en tirer profit au moment opportun, au bénéfice de la
cause que j'avais fait vœu de servir fidèlement jusqu'à mon dernier
souffle.
Mon but n'a jamais été d'amasser de l'argent, mais l'argent réassu–
rant mon indépendance était un moyen d'arriver à mon but; c'est pour–
quoi je me suis vite aperçu que la Bourse du Commerce n'était pas un
milieu propice à ma propagande. Les hommes d'argent n'ont jamais
été des idéalistes. Pour eux, cent sacs de. haricots présentaient plus
de valeur et plus d'intérêt que les cent mille têtes arméniennes coupées
par les Turcs.
L'expérience du passé m'avait déjà appris que l'Arménie était la
victime désignée à la rapacité de la grande finance internationale, qui
imposait sa volonté à l'Europe, en faveur de la Turquie, pays de sa
convoitise.
Fonds A.R.A.M