Les arguments irréfutables que j'apporte dans les chapitres précé–
dents prouvent qu'il n'a pas dépendu de moi que l'Arménie n'ait connu
une meilleure destinée. Nous avons laissé échapper l'unique occasion
qui se présentait pour assurer définitivement le bonheur du peuple
arménien, en mettant fin, une fois pour toutes, à ses souffrances sécu–
laires.
Nos soldats ont été magnifiques sur tous les fronts, dans leurs
efforts héroïques et dans leurs sacrifices sublimes. Le succès de la
cause arménienne ne faisait aucun doute. La sympathie du monde
civilisé nous était acquise. L'incapacité et la vénalité de nos soi-disant
diplomates, au moment de toucher à notre but, a conduit l'Arménie
à sa perte. La responsabilité de nos désastres et de notre échec politi–
que tombe,
en grande partie
sur les épaules de nos dirigeants qui ont
eu l'inconscience de ne pas donner le compte rendu de leur gestion et
de ne pas se justifier devant le tribunal du peuple arménien. Ces mes–
sieurs se taisent et peut-être ont-ils raison, puisque tous les moyens
de défense leur font défaut.
Aucune obligation militaire n'ordonnait à nos compatriotes d'aller
se faire trouer la peau pendant la guerre ; pourtant, on les a vus par–
tout, avec des Russes, des Français, des Anglais, des Grecs et des
Américains. Si l'héroïsme consiste à défendre le fusil à la main l'exis–
tence de sa patrie, il serait de toute justice que les. palmes de
l'héroïsme soient attribuées aux soldats arméniens qui, en réalité, eux,,
ne défendaient que la patrie des autres. Nulle part ils n'étaient obligés
de prendre les armes et partout ils se faisaient tuer volontairement,
sans même savoir au fond si leur sacrifice serait utile à leur propre
patrie.
Plus ou moins, tous les pays alliés ont utilisé le sang arménien pour
des buts égoïstes, et ce sont les intérêts de la patrie arménienne quf
ont été toujours sacrifiés. Le sang arménien a servi comme objet de
marchandage entre les vainqueurs et les vaincus, pour aboutir finale–
ment à la conclusion du traité de Lausanne, c'est-à-dire à l'enterrement
de la question arménienne dont le convoi funèbre était conduit par nos-
propres alliés de la guerre, lord Curzon et Aristide Briand en tête.
Cette trahison inattendue et cette déception cruelle mettent le peuple-
arménien en deuil, mais il attendra patiemment le jour de la résurrec-
Fonds A.R.A.M