M. TCHOBANIAN
M. Tchobanian est un ancien professeur de littérature. Sous ce
rapport, on lui reconnaît une certaine valeur qui justifie d'ailleurs sa
réputation de poète. Ayant été un de ses anciens élèves de l'Ecole
Aramian de Kadikeuy (Constantinople), je ne professais que du res–
pect pour sa personne et, selon toute probabilité, cette affection que
chaque bon élève doit à son ancien professeur aurait persisté durant
toute mon existence, si je n'avais pas eu le malheur de le rencontrer
dans la politique arménienne où il s'est révélé d'une nullité absolue.
La politique et la poésie sont deux choses bien différentes qui ne font
jamais bon ménage ensemble. M. Tchobanian a eu grandement tort
d'abandonner sa lyre et d'embrasser une carrière ingrate pour laquelle
il n'était nullement prédestiné.
Je n'ai jamais rencontré un poète qui ne soit pas orgueilleux et
infatué de sa personne. En général, le bon sens du public n'étant pas
choqué de ces défauts, les poètes sont toujours reçus avec un sourire
indulgent; les façons maniaques de ces enfants gâtés de chaque race
ne sont pas prises en sérieuse considération. Ce sont des rêveurs qui
ne deviennent dangereux que lorsqu'ils ont la velléité de quitter le
cercle de leur habituelle contemplation et de s'occuper de choses trop
terre-à-terre incompatibles avec leur mentalité et leurs aspirations.
Après avoir rendu hommage à la valeur incontestable d'un poète, j'ai
maintenant le pénible devoir d'apprécier librement le rôle néfaste que
M. Tchobanian politicien a voulu jouer dans la question arménienne.
J'ai rencontré M. Tchobanian à Paris, en 1916, à l'occasion de la
grande solennité de la Sorbonne, organisée en l'honneur de l'Arménie.
Sous la bonne impression du passé, nous étions devenus deux bons
amis; la question arménienne était notre conversation favorite. Pro–
fesseur et élève, nous avons étudié cette question dans toutes ses pha–
ses. Dès le premier jour, j'ai été effrayé de son ambition démesurée;
il m'avouait avec une franchise enfantine qu'il avait envoyé des ins–
tructions nécessaires au Comité Central de Tiflis, concernant la poli–
tique à suivre vis-à-vis de la Russie (!!!). A l'entendre parler, on aurait
cru que le Comité de Tiflis se trouvait sous sa direction. Il était très
mécontent de Boghos Pacha qui persistait à le tenir à l'écart de la
Délégation ; il ajoutait même qu'il était très fort. Boghos Pacha n'avait
qu'à se plier devant sa volonté : « Je le briserai le jour que je vou–
drai. » Tout le monde se rappelle, en effet, ses articles contre la Délé-
Fonds A.R.A.M