M. NORADOUNGHIAN
J'estime nécessaire de consacrer un chapitre spécial à ce haut fonc–
tionnaire de la Sublime-Porte dont la physionomie est très intéres–
sante à connaître. Tout en servant fidèlement les intérêts de l'empire
ottoman, il lavait trouvé le moyen d'être utile à ses compatriotes. Cette
double fidélité à deux causes différentes et diamétralement opposées
donne une idée exacte de la grande souplesse diplomatique d'un loyal
fonctionnaire de la Turquie à la consilidation de laquelle il avait
consacré trente-cinq ans de son existence, dont l'intervention de près
ou de loin dans la politique arménienne, au cours de la guerre, n'avait
nullement diminué l'estime que lui accordaient ses anciens collabora–
teurs. D'autre part, fait curieux, son titre d'ancien ministre et d'ancien
sénateur turc n'a porté aucune atteinte à son prestige de bon Armé–
nien, puisqu'on vient de l'élever à la vice-présidence de l'Union Géné–
rale Arménienne de Bienfaisance.
Pendant la guerre, M. Noradounghian habitait Lausanne, se tenant
à l'écart de toute politique active. Cette attitude réservée ne l'empêchait
pas de donner des conseils de prudence et de modération quand notre
Délégation sentait la nécessité de le consulter périodiquement.
Nous savons de très bonne source que M. Noradounghian était par–
tisan du mandat français en Cilicie, mais, malheureusement, il n'avait
pas réussi à faire prévaloir ses points de vue auprès de cette/Délégation
qui était emportée par la manie de suivre l'ombre fuyante du pasteur
Wilson. La Serbie, la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie
avaient attaché leur sort à celui de la France; elles ont toutes obtenu
gain de cause concernant leurs aspirations nationales, mais nos diplo–
mates de la nouvelle couche, soumis au régime du biberon, sont allés
si loin pour chercher dans la Maison Blanche une nourrice à leur
nouveau-né sans s'être assurés d'avance si l'Oncle Sam était disposé
à devenir le parrain pour la protection de son soi-disant protégé. Ce
que M. Noradounghian avait conseilé tout bas, je l'avais clamé tout
haut; pour le grand malheur du peuple arménien, mes conseils désin–
téressés n'ont pas été suivis par des personnes qui avaient assumé
officiellement la responsabilité de la politique arménienne, mais l'his–
toire doit enregistrer ce fait pour l'enseignement des générations
futures.
En 1920, après la chute de la forteresse de Kars, les armées turques
envahissent l'Arménie; au désastre de la Grande-Arménie succède
Fonds A.R.A.M