Quand nos ennemis eux-mêmes rendent un éclatant hommage au
patriotisme et au courage de notre héros national, nous autres, les
Arméniens, nous devons nous incliner tous respectueusement devant
sa tombe et nous devons prendre exemple sur son patriotisme, son
courage, sa clairvoyante diplomatie pour conduire à l'avenii, plus
intelligemment, les destinées du peuple arménien.
ANTRANIK DIPLOMATE
Antranik avait horreur du labyrinthe périlleux des intrigues diplo–
matiques. Son caractère franc et loyal, sa connaissance approfondie
des défauts et des qualités de sa race, ne lui permettaient pas de faire
une politique d'une grande envergure à l'exemple de nos deux Délé–
gations qui avaient la prétention de traiter d'égal à égal avec les
grandes puissances, appuyées sur une petite armée de 50.000 hommes.
L'Aigle arménien, qui avait fait plusieurs fois le tour de l'Arménie à
la tête d'une phalange de braves et qui connaissait du bout de ses
doigts sa géographie et le degré de résistance de son peuple, jugeant
la situation d'un coup d'œil, était arrivé à cette conclusion très simple
et très logique : « L'Arménie, à elle seule, avec sa population de deux
millions d'habitants, ne pourrait pas lutter victorieusement contre sa
puissante ennemie, la Turquie; donc, l'existence d'une République
arménienne ne pourrait être assurée qu'avec l'appui et la protection de
notre grande voisine, la Russie. »
Quant à la Cilicie (la Petite-Arménie), d'après ses aveux, en admet–
tant même qu'il ait eu à sa disposition une armée de 50.000 hommes,
il lui était impossible de tenir tête plus de deux mois aux armées tur–
ques sans le concours effectif de la France; par conséquent, nous
n'avions que deux politiques à pratiquer : attacher le sort de la
Grande-Arménie à celui de la Russie et accepter le mandat français
pour la Cilicie, en attendant qu'à l'avenir l'accroissement de notre
population et des circonstances plus propices nous permissent d'entre–
voir d'autres horizons. Antranik est mort, mais son testament politique
doit être exécuté à la lettre par ses compatriotes, si nous voulons épar–
gner au peuple arménien le malheur d'un désastre définitif.
Tout en pleurant la perte irréparable du grand Arménien, nos patrio–
tes, nos militaires et nos diplomates ont de grands enseignements à
puiser dans son testament pour le salut de l'Arménie.
Fonds A.R.A.M