Pendant trente ans, l'insaisissable Antranik a promené le drapeau
de la révolte à travers l'Arménie, partout sur son passage, faisant
reculer des troupes régulières turques. Son nom seul suffisait pour
démoraliser toute une armée. Durant cette longue équipée, Antranik"
n'a jamais été blessé; on aurait dit que la bonne étoile de Napoléon I
er
l'accompagnait partout. Plusieurs fois sa tête a été mise à prix par le
gouvernement turc, mais lui savait déjouer toutes les intrigues et t ou –
tes les embûches tendues sous ses pas. Son prestige avait acquis un tel
degré de célébrité qu'une partie des Kurdes préféraient se soumettre
à la volonté de ce surhomme sur lequel les balles n'avaient aucune
prise, mais, par contre, les siennes savaient atteindre ses adversaires,
quand le Grand Justicier de tout un peuple voulait imposer un châti–
ment exemplaire.
Antranik était un militaire de carrière et il avait parfait son instruc–
tion sur les montagnes d'Arménie, dans des milliers de rencontres avec
les réguliers turcs. Pendant la guerre balkanique, Antranik prend ser–
vice dans l'armée bulgare et il est nommé capitaine sur le champ de
bataille.
En 1914, au début des hostilités, il passe au Caucase, forme avec ses
volontaires l'avant-garde de l'armée russe. Ayant rendu de très grands
services, il est nommé général-major sur le champ de bataille et obtient
en même temps la plus grande distinction militaire russe, la Croix
de Saint-Georges..
Après la chute du gouvernement du tsar et la retraite des t roupes
russes, Antranik, pour réduire la Turquie à l'impuissance, présente un
plan d'action à l'état-major des alliés par l'entremise du consul des
Etats-Unis à Tiflis. Sa proposition étant acceptée par les alliés, le
consul américain reçoit des instructions pour se mettre à la disposition
du général Antranik et lui fournir le nécessaire à l'exécution de son
plan. Antranik se met immédiatement à l'œuvre pour former .une
armée arménienne de 30.000 hommes, mais quelques politiciens, vou–
lant enlever à Antranik le mérite de cette action, font tout pour faire
échouer cette entreprise. Il est hors de doute que sans l'intervention
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de ces politiciens, c'est nous qui aurions dicté aux Turcs nos condi–
tions de paix, au lieu de subir l'affront de leur humiliant traité
d'Alexandropol.
Antranik était l'ardent partisan de la Russie. Je suis certain que sî
notre héros national était resté au pouvoir, le peuple arménien aurait
connu aujourd'hui une autre destinée. Pendant les pourparlers des–
conditions de paix à Alexandropol, un des délégués arméniens, dans-
Tintention, probablement, de faire plaisir au vainqueur du jour, se
permet de faire quelques réflexions malveillantes au sujet d'Antranik,
mais Khalil Pacha, commandant des troupes turques, répond : « Non,.
Monsieur, ne dites pas de mal d'Antranik. Je ne regrette qu'une chose,,
c'est qu'il ne soit pas né Turc.
Fonds A.R.A.M