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ennemi était suffisamment éloigné pour
nous
permet t re d'envisager la
possibilité du sauvetage.
Le 11 septembre au soir, toutes les mesures de précaution ayant
été effectuées, le sauvetage des Arméniens du Mont Moussa fut décidé.
Pa r ordre de l'Amiral et du commandant Vorgos, commandant du
Desaix,
qui avait la direction de l'opération, j'étais désigné pour procé–
der à terre même à l'évacuation des Arméniens.
Aussitôt débarqué sur la plage, je m'occupais de canaliser l'évacua–
tion des réfugiés village par village.
Quand la dernière des femmes, le dernier des vieillards ou des
enfants fut embarqué, les vingt postes arméniens abandonnan t au
même instant leurs positions montagneuses rejoignirent de divers côtés
la plage, et je vis alors déboucher des vallons, par petits paque t s , de
solides et fiers guerriers, la poitrine ornée de cartouchières. Soudain le
bruit d'une fusillade nourrie se fit entendre au sortir de l'un de ces
vallons et comme je m'enquérais de ce qui se passait (j'avais expressé–
ment interdit tout bruit d'armes à feu pour ne pas éveiller l'attention
de l'ennemi) on me répondit que les insurgés saluaient ainsi leur chef;
et je l'aperçus s'avançant au même moment sous le pli d'un étendard
blanc et bleu, le drapeau français sous les couleurs duquel les insur–
gés du Djebel Moussa avaient mené la lutte contre les Turcs et à qui,
suivant les ordres de l'Amiral, on avait enlevé la b^nde rouge. Ce chef
c'était Esaïe Yacoubian, un homme admirable de calme et de dignité
simple, le front ceint d'une étoffe qui retombait en couvre-nuque
comme les insurgés arméniens du Sassoun, la poitrine bourrée de car –
touches, le regard à la fois triste et allumé. Un petit état-major de
héros hirsutes le suivait et il avançait lentement sous l'arc des fusils
que ses hommes entrecroisaient sur lui tout au long de sa route. J ' a l –
lais vers Yacoubian et après lui avoir affectueusement serré la main
et l'avoir félicité de sa courageuse résistance, je lui faisais par t des
ordres de mes chefs. 11 fallait quitter le Mont Moussa et embarquer
immédiatement. La montagne était maintenant sans défense et nos
mouvements d'embarcations pouvaient être pris sous le feu de l'ennemi
si celui-ci avait le temps de s'approcher de la côte. « L'ennemi est loin,
le lâche Turc s'est terré depuis votre bombardement , son attaque d'hier
n ' a été qu'un simulacre, n'ayez crainte — me répondit Yacoubian —-
mais, voyez-vous, nous ne pouvons abandonner de gaîté de cœur notre
patrie aimée, ces lieux qui sont les nôtres depuis des siècles et où nous
venons de lutter victorieusement pendant cinquante jours contre un
ennemi bien supérieur en nombre. Ah ! si vous nous laissiez continuer
la lutte ! » Comme je lui faisais comprendre qu'il n'y avait pas à insis–
ter, tous alors, chefs et soldats, adressèrent un dernier adieu à leurs
chères montagnes.
Fonds A.R.A.M