tjui se passait. « Les Turcs ont attaqué avec des forces très supérieures
aux nôtres, des forces comme ils n'en avaient jamais employé j u s
r
qu'ici. Nous résistons, mais nous craignons pour nos femmes et nos
enfants; les munitions s'épuisent et si le combat dure longtemps...
Nous avons déjà passablement de morts et de blessés ». J'écoutai ces
paroles des nouveaux émissaires arméniens qui osaient à peine avouer
leur détresse et je m'empressai d'aller les rapporter à mon comman–
dant.
Que fallait-il faire ? Le commandant Vergos était un chef plein de
bon sens et de sang-froid. II causa longtemps avec moi et décida
ensuite de télégraphier d'extrême urgence la situation à l'Amiral, en
insistant sur le fait que les femmes et les enfants couraient un danger
imminent.
Le lendemain matin 10 septembre, à la première heure, l'ordre nous
parvenait de prendre toutes mesures utiles pour protéger les insurgés
arméniens et opérer leur sauvetage en cas de nécessité. Le commandant
du
Guichen
fut convoqué à bord du
Desaix
où se trouvaient déjà les
délégués des insurgés. Ces derniers nous donnèrent toutes les préci–
sions voulues concernant les positions des Turcs et celles de leurs com–
patriotes. On demeura d'accord d'envoyer au préalable des embarca–
tions vers la terre pour ramener les blessés arméniens et de bombarder
aussitôt après les principales positions turques de façon à briser
d'abord l'effort des assaillants et de nous permettre ensuite d'évacuer
plus sûrement les insurgés ou tout au moins leurs familles. Il y avait
un intérêt majeur à exécuter ces opérations dans les délais les plus
brefs, car la situation pouvait s'aggrever à tout moment.
Notre plan d'action fut scrupuleusement mis à exécution. Dès que
les blessés furent ramenés à terre, le
Guichen
ouvrait le feu dans la
direction du village de Kaboussieh sur la gauche des positions armé–
niennes, et le
Desaix
sur la droite, les Turcs les pressant des deux
côtés à la fois comme dans un étau qui allait sans cesse en se res–
serrant davantage.
Grâce à la précision de notre tir qui porta en pleins buts, les résul–
tats ne se firent pas attendre. Les Turcs, affolés par la chute de nos
obus de gros calibres, prirent la fuite de toutes parts et du bord nous
pouvions suivre avec nos jumelles ce spectacle intéressant de déban–
dade en même temps que la poursuite des Arméniens qui étendirent
Iturs positions dans de notables proportions.
Le bombardement terminé, nous ne tardâmes pas à avoir son
compte rendu détaillé par les Arméniens qui nous envoyèrent'aussitôt
de nouveaux délégués. Ceux-ci, débordant de joie, se précipitèrent sur
nous, serrant la main de tous, officiers et marins. « Merci, merci pour
ics canons, disaient-ils naïvement, et ils embrassaient leurs puissantes
volées, comme des enfants ivres de joie et de bonheur. Désormais le
sort de nos braves Arméniens pouvait nous paraître hors de danger,
Fonds A.R.A.M