fiévreuses. Je leur adresse la parole en arménien; leur cœur bondit de
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et leurs faces s'animent; ils parlent avec volubilité, comme si leurs
poitrines longtemps comprimées pouvaient enfin exhaler un long cri
retenu de souffrance et d'espoir. Je traduis fidèlement à l'Amiral toutes
les péripéties de l'insurrection et les desiderata des insurgés : « Voilà
près de cinquante jours que nous tenons la montagne . Mourir pour
mourir, nous préférons mourir avec honneur. Est-il possible seulement
que vous nous débarrassiez du souci de nos femmes et de nos enfants ?
Pouvez-vous ensuite nous fournir des munitions et quelques vivres
pour continuer victorieusement la lutte ? Nous aimons la France de
toute notre âme et nous combattons, du reste, sous son drapeau... »
L'Amiral était visiblement ému. Ce grand chef qui savait parler, eut
des mots pleins d ' à-propos et de sentiment, de nobles paroles d ' encou–
ragement pour répondre à ces braves. Pour la question du dr apeau
français, j ' eus bien de la peine à leur expliquer qu'ils n'avaient pas le
droit de s'en servir officiellement. Pour eux, le drapeau de la Fr ance
c'était tout ce qui pouvait signifier révolte et liberté devant l'oppression
et la tyrannie, c'était l'étendard de l'affranchissement. « Enlevez le
rouge, leur dit l'Amiral Dartige, et continuez à vous servir du bleu e t
du blanc. Cela n'empêche pas le cœur de la France d'être avec vous .
Pour ce qui est du résultat de notre entrevue, je vais en, référer immé–
diatement à mon gouvernement. »
Les délégués des insurgés furent ensuite ramenés à terre par une
embarcation afin de pouvoir transmettre à tous leurs compatriotes le
résultat de leur entrevenue et les décisions qui avaient été arrêtées
d'un commun accord avec nous. En at tendant les instructions gouver –
nementales, il avait été convenu qu'en cas de danger immédiat seu l e –
ment, les Arméniens devaient agiter un fanion spécial de secours.
La
]
eanne-d'Arc
s'éloigne avec l'Amiral, laissant au capitaine de
vaisseau Vergos, commandant le
Desaix,
la direction des opérations
éventuelles avec toutes les instructions nécessaires à cet effet. Le
Gui-
chen
devait nous rejoindre dans les vingt -quat re heures pour nous pr ê –
ter son aide s'il le fallait.
Le lendemain, le 9 septembre, à la tombée du soir, en repassant à
nouveau devant le Raz-el-Mina, on nous faisait sur les hauteurs le
signal de secours convenu. Les Arméniens agitaient le drapeau blanc.
Il n'y avait pas à en douter, un nouveau et grave danger devait les.
menacer, et en prêtant l'oreille nous nous rendîmes compte qu ' une vive-
fusillade crépitait au haut des collines. Le capitaine de vaisseau Ver–
gos me faisait appeler d'urgence. « Faites armer une embarcation et
allez prudemment vers le rivage pour voir ce qui se passe . » Ma balei –
nière fut vite armée^et à amples coups d'aviron, tous têtes baissées,
nous ne tardions pas à nous rapprocher de la côte. On ne pouvait
accoster, mais comme auparavant , deux Arméniens vinrent à nous à la
nage . Je les pris dans l'embarcation et m'enquis aussitôt de savoir ce
Fonds A.R.A.M