I N T R O D U C T I O N .
De tous les monuments historiques de l'Armé–
nie, l'ouvrage de Faustus de Byzance est assu–
rément celui qui a été le plus sévèrement jugé par
les écrivains nationaux. Déjà, à une époque fort
ancienne, les Arméniens, par un sentiment exa–
géré de patriotisme, avaient témoigné leur mé–
contentement contre Faustus, en accusant cet
historien de s'être fait l'écho de récits mensongers
et d'appréciations calomnieuses. Lazare de Pharbe,
auteur du cinquième siècle, qui avait compris
l'injustice de ses compatriotes envers Faustus,
s'appliqua à le défendre et à le justifier. Cet his–
torien, qui fit preuve en cette circonstance
d'une louable impartialité, n'hésita pas à recon–
naître que l'ouvrage de Faustus avait subi d ' im
r
portantes modifications, et que l'ignorance et
l'esprit de parti n'étaient point étrangers aux i n –
terpolations qu'on remarque, à première v u e ,
dans l'histoire de cet écrivain. Au surplus,
ces altérations des textes originaux des plus
anciens prosateurs de l'Arménie sont assez fré–
quentes, et la critique a déjà signalé des a d –
ditions et des changements introduits dès le
quatrième siècle ( i ) , dans les ouvrages histo–
riques qui nous sont parvenus sous les noms
d'Agathange (a) et de Zénob de Glag (3). I l est
curieux de voir qu'au cinquième siècle, comme
de nos j our s , les Arméniens se sont toujours
blessés des attaques dirigées contre leur nation,
et qu'il est fort difficile de faire taire chez eux les
rancunes qu'ils conservent contre plusieurs de
leurs écrivains, accusés d'avoir flétri ou stigma–
tisé les défauts de leurs compatriotes. Lazare de
Pharbe qui, de son côté, s'est montré impitoyable
envers ses nationaux
(4)
,
et qui a pris à tâche de
(1)
Cf. l'introduction à
YHist. d'Arménie
de Lazare de
Pharbe, en arménien ( Venise, 1793, pag. 14).
(2)
Cf. l'introduction à
YHistoire d'Agathange
,
plus
haut, pag.
100
et suiv.
(3)
Cf. l'avant-propos en tête de la traduction française
de Zénob de Glag dans le
Journal asiatique,
1863,
et
tirage à part, pag. 5.
(4)
Cf. la
Lettre
de Lazare de Pharbe à Vahan Mami-
gonien, en arménien (Moscou, 1853, in-8° ).
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justifier Faustus, en le représentant comme un
écrivain supérieur, d'une rare érudition, i nc a –
pable de descendre jusque dans les basses régions
de la calomnie ( î ) , n'a p u , malgré ses efforts,
ramener les Arméniens à des sentiments plus justes
envers cet historien, d e préjugé a subsisté même
jusqu'à présent, et les savants religieux de la
congrégation de Saint-Lazare de Venise, notam–
ment Indjidji
(2)
et Tchamitch ( 3 ) , n'hésitent
point à déclarer que tout le récit de Faustus, à
quelques exceptions près, est dépourvu d'au–
thenticité et ne mérite aucune confiance. 11 est
vraiment regrettable que les éditeurs de l 'Hi s –
toire de Faustus
n'aient
attaché qu'une médiocre
importance au témoignage de Lazare de Pharbe
qui place cet auteur au même rang qu'Agathange,
en donnant aux livres de ces deux annalistes la
préférence sur « cette quantité d'ouvrages histo–
riques arméniens qu'il avait à sa disposition »,
en composant son livre
(4).
Toutefois l'ouvrage
de Faustus, auquel nous accordons une véritable
importance, n'est pas exempt de défauts, et i l est
vrai de dire qu'on y trouve des erreurs capitales,
de fréquents anachronismes, une absence com–
plète de chronologie et des exagérations inexplica–
bles sur lenombre et l'importance des armées dont
il fait l'en
um
ération. Mais ces défauts qu i , i l faut
bien le reconnaître, sont communs aux écrivains
de cette époque, et dont l a faute retombe en par–
tie, soit sur les traducteurs, soit sur les copistes,
sont du reste excusables chez un écrivain du qua–
trième siècle, d'autant plus qu'à côté de que l –
ques taches, nous trouvons des indications pré–
cieuses et exactes qu'on chercherait en vain chez
les contemporains de Faustus ; nous voulons parler
des détails que donne cet historien sur les mœurs,
(1)
Introduction à
YHistoire d?Arménie
de Lazare
de Pharbe, pag. 14.
(2)
Indjidji,
Archèol. armèn.,
en arménien (Venise,
1835),
t. I I , pag. 185.
(3)
Tchamitch,
Hist. d'Armén.,
en arménien (Venise,
1832),
t.I, p. 11.
(4)
Lazare de Pharbe,
Hist. d'Arm.,
p. 9.
Fonds A.R.A.M